Accueil > Transmission d’entreprises > Plus-values mobilières > Discrimination à rebours en matière fiscale : la CEDH valide la différence de traitement entre opérations nationales et européennes d'échange de titres
Plus-values mobilières

Discrimination à rebours en matière fiscale : la CEDH valide la différence de traitement entre opérations nationales et européennes d'échange de titres

La CEDH vient de rendre un arrêt particulièrement attendu dans l'affaire De Galbert Defforey et autres c. France, qui aborde pour la première fois la question de la discrimination à rebours en matière fiscale à la lumière l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme appliqué aux situations où le droit national apparaît moins favorable que les règles européennes.

 

Pour mémoire, le régime fiscal des plus-values mobilières a connu une réforme majeure avec la LF pour 2013, qui a supprimé la taxation proportionnelle au profit d'une imposition au barème progressif de l'impôt sur le revenu. Parallèlement, le législateur a instauré un abattement pour durée de détention prévu à l'article 150-0 D du CGI, permettant de réduire l'assiette imposable en fonction de la durée de conservation des titres (50% après deux ans, 65% après huit ans, avec des taux majorés pour les PME).

 

La complexité naît de l'articulation entre ce nouveau régime et les mécanismes de report d'imposition applicables aux opérations d'échange de titres. Ces dispositifs, prévus notamment aux articles 160 et 150-0 B ter du CGI, visent à assurer la neutralité fiscale des restructurations en différant l'imposition jusqu'à la cession effective des titres reçus en échange.

 

La directive européenne 2009/133/CE, dite directive "fusions", impose quant à elle une stricte neutralité fiscale pour les opérations transfrontalières d'échange de titres au sein de l'Union européenne. L'arrêt de la CJUE du 18 septembre 2019 (affaires C-662/18 et C-672/18) a précisé que cette neutralité implique l'application du même traitement fiscal à la plus-value d'échange et à celle de cession ultérieure, notamment s'agissant de l'abattement pour durée de détention.

 

Rappel des faits :

L'affaire réunit trois contribuables français dans des situations similaires mais distinctes. Mme D avait réalisé en 1998 une plus-value d'échange lors d'une fusion entre sociétés françaises, placée en report d'imposition jusqu'à la cession partielle des titres en 2016. M. S avait procédé en 2012 à un apport de titres français à une société française, la plus-value étant imposée lors de la cession des titres reçus en 2015. M. Javait effectué en 2013 un apport de titres français à une société française nouvellement créée, puis cédé cette dernière à une société américaine la même année. Dans tous les cas, les opérations concernaient exclusivement des sociétés françaises, les excluant ainsi du champ d'application de la directive européenne.

Les contribuables susvisés se sont vu refuser le bénéfice de l'abattement pour durée de détention, soit en raison de la date de réalisation de la plus-value (avant 2013), soit en raison des modalités de calcul de la durée de détention.

 

Les requérants ont multiplié les recours, contestant tant leurs impositions que les commentaires administratifs les excluant du bénéfice de l'abattement. Leurs démarches ont abouti à un renvoi préjudiciel devant la CJUE et à une question prioritaire de constitutionnalité.

 

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 3 avril 2020, a validé le dispositif en considérant que la différence de traitement était justifiée par la nécessité de respecter le droit européen, créant une différence de situation objective entre opérations nationales et européennes. Le Conseil d'État a confirmé cette analyse, estimant que le respect des exigences européennes constituait un objectif d'intérêt public légitime justifiant la discrimination.

  • Les contribuables dénonçaient une discrimination directe fondée sur la localisation des titres échangés, soutenant que leur situation était comparable à celle de contribuables ayant réalisé des opérations transfrontalières. Ils contestaient l'absence de justification objective de cette différence de traitement, estimant que la marge d'appréciation des États devait être restreinte en la matière.
  • Le Gouvernement français répliquait que la différence de traitement reposait sur un critère objectif, l'applicabilité du droit européen, et poursuivait un but légitime, le respect des obligations communautaires. Il invoquait la large marge d'appréciation reconnue aux États en matière fiscale et rappelait que le droit européen n'interdit pas les discriminations à rebours.

 

La CEDH vient de valider la différence de traitement 

  • Elle reconnaît d'abord l'existence d'une discrimination fondée sur un critère identifiable, la nature transfrontalière ou purement interne des opérations d'échange de titres.
  • Elle admet ensuite que les contribuables concernés se trouvent dans des situations comparables, ce que les juridictions internes avaient d'ailleurs implicitement reconnu.

La Cour justifie toutefois cette différence de traitement en s'appuyant sur plusieurs éléments déterminants. Le respect du droit européen constitue un objectif légitime d'un poids considérable, et les autorités nationales bénéficient d'une large marge d'appréciation en matière fiscale. La différence de traitement ne se fonde pas sur la nationalité des contribuables mais sur les caractéristiques des transactions, librement choisies par les intéressés.

 

Surtout, la Cour observe que le droit interne poursuit le même objectif de neutralité fiscale que la directive européenne, seul le degré de cette neutralité variant selon les situations. Les dispositions transitoires excluant certaines plus-values du bénéfice de l'abattement ne lui apparaissent pas arbitraires, constituant la conséquence inévitable de l'instauration de règles nouvelles.

 

Publié le vendredi 23 mai 2025 par La rédaction

4 min de lecture

Avancement de lecture

0%

Partages :