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Droits de mutation et Dutreil

Exonération Dutreil : de l'importance des revenus perçus pour justifier l'activité professionnelle principale

Nouvelle décision illustrant l'approche rigoureuse adoptée par le juge de l'impôt dans l'appréciation des conditions d'application du dispositif d'exonération partielle prévu à l'article 787 B du CGI et mettant notamment en lumière le fait que la notion d'"activité professionnelle principale" est, s'agissant du réputé acquis ou de l'engagement indivibuel de conservation, analysée de manière concrète, en s'appuyant sur les revenus perçus, qui doivent être précisément justifiés par des documents fiscaux cohérents.

 

L'article 787 B du CGI, dans sa rédaction applicable au moment du décès de M. LU. survenu le 2 juin 2010, prévoyait une exonération partielle de droits de mutation à hauteur de 75% de leur valeur pour les parts ou actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou donation, sous réserve de la réunion de plusieurs conditions cumulatives.

 

Parmi ces conditions figure notamment l'existence d'un engagement collectif de conservation des titres d'une durée minimale de deux ans, qui peut être "réputé acquis" lorsque les parts sont détenues depuis au moins deux ans par le défunt et que celui-ci exerçait son activité professionnelle principale dans la société concernée durant cette même période.

 

Le dispositif impose également aux héritiers de prendre un engagement individuel de conservation des titres pendant quatre ans et exige que l'un des héritiers exerce effectivement dans la société son activité professionnelle principale pendant les trois années qui suivent la transmission.

 

Rappel des faits :

M. LU  décédé le 2 juin 2010, a laissé pour lui succéder ses deux enfants, M. CU et Mme EU Le défunt détenait 90% des parts de la SARL F, ainsi que des participations dans trois autres sociétés (SARL L, SARL MI et SARL BR) dont il était également gérant.

Suite à la déclaration de succession déposée le 9 novembre 2011, l'administration fiscale a remis en cause l'exonération partielle des parts sociales de la SARL  réclamée par les héritiers, considérant que les conditions de l'article 787 B du CGI n'étaient pas remplies.

Après plusieurs réclamations et l'obtention de divers dégrèvements, les consorts U ont saisi le tribunal judiciaire de Lyon pour contester la décision d'acceptation partielle du 4 janvier 2018. Par jugement du 14 octobre 2020, le tribunal les a déboutés, estimant qu'ils ne démontraient pas que leur père exerçait son activité professionnelle principale au profit de la société Flexocolor.

Les consorts U ont fait appel de cette décision, demandant l'annulation partielle de la décision du 4 janvier 2018, un dégrèvement complémentaire de l'avis de mise en recouvrement du 4 juin 2015 à hauteur de 179.854 € et la restitution de cette somme à chacun des héritiers pour moitié.

 

Les consorts U s'appuient sur plusieurs éléments pour démontrer que l'activité principale de leur père était exercée au sein de F :

  • Des témoignages de quatre préposés de la société attestant de la présence "régulière et permanente" du défunt dans les locaux de l'entreprise pour en assurer la direction;
  • Le fait que la société F avait un chiffre d'affaires propre et un personnel significatif (10 personnes);
  • La prise en charge exclusive des frais de déplacement du défunt par cette société;
  • L'absence de direction technique et commerciale par le défunt des autres sociétés (MI et BR) qui disposaient chacune d'un directeur;
  • Les montants des rémunérations perçues de la société F, qu'ils estiment supérieurs à ceux des autres sociétés.

Concernant l'engagement individuel de conservation, les appelants reconnaissent que Mme EU. a démissionné de ses fonctions de gérante le 3 novembre 2011, mais estiment que cette démission est sans conséquence puisque M. CU. a continué à diriger la société. Ils soutiennent également que ce dernier a exercé son activité principale dans la société F à partir de sa désignation comme co-gérant le 4 mai 2010.

 

L'administration, de son côté, conteste l'interprétation des revenus présentée par les appelants et souligne que :

  • Les déclarations fiscales du défunt pour 2008, 2009 et 2010 montrent qu'il percevait à la fois des salaires et des revenus industriels et commerciaux, ces derniers étant inférieurs aux salaires déclarés;
  • L'origine des revenus industriels et commerciaux n'est pas précisée et rien ne prouve qu'ils proviennent exclusivement de la société Flexocolor;
  • Les montants perçus par le défunt des trois autres sociétés ne correspondent pas aux chiffres avancés par les appelants;
  • Ces documents démontrent que M. L.U. exerçait diverses activités de gérance et ne tirait pas l'essentiel de ses revenus de la société Flexocolor.

Concernant M. CU, l'administration soutient qu'il ne démontre pas que son activité principale était exercée au sein de la société Flexocolor, notamment au regard de ses autres activités et des revenus limités (2.500 euros) qu'il a perçus de cette société pour l'exercice 2010-2011.

 

La Cour vient de confirmer le jugement de première instance, considérant que les conditions tant de l'engagement collectif réputé acquis que de l'engagement individuel de conservation n'ont pas été satisfaites par les consorts U, qui ne peuvent dès lors bénéficier de l'exonération partielle des droits de mutation.

 

Concernant l'engagement réputé acquis

La Cour rappelle que pour bénéficier de l'engagement collectif réputé acquis, deux conditions doivent être remplies : la détention depuis au moins deux ans par le défunt de titres représentant les seuils exigés en droits financiers et en droits de vote, et l'exercice par le défunt de son activité professionnelle principale dans la société concernée depuis plus de deux ans.

Si la première condition n'est pas contestée, la Cour analyse en détail la seconde. Elle définit l'activité professionnelle principale comme "celle qui constitue pour le redevable l'essentiel de ses activités économiques" ou, à défaut, "celle qui procure à l'intéressé la plus grande part de ses revenus".

 

La Cour relève plusieurs éléments qui fragilisent la position des appelants :

  • La valeur probante limitée des attestations produites, identiques dans leur rédaction et comportant une contradiction intrinsèque (présence "régulière et permanente");
  • L'absence de documents fiscaux complets pour certains exercices et certaines sociétés;
  • Les discordances entre les montants de revenus déclarés à l'administration fiscale et ceux mentionnés par les appelants dans leurs conclusions;
  • Le fait que les revenus provenant de la société F étaient parfois inférieurs à ceux issus d'autres sociétés.

La Cour conclut que les consorts U, à qui incombe la charge de la preuve, ne démontrent pas que l'activité économique principale de M.  LU était exercée au profit de la société F.

 

Concernant l'engagement individuel de conservation

La Cour rappelle que l'article 787 B-c du CGI (dans sa rédaction à l'époque des faits) impose aux héritiers de conserver les titres pendant quatre ans et que l'un d'eux doit exercer effectivement dans la société, pendant les trois années qui suivent la transmission, son activité professionnelle principale si celle-ci est une société de personnes.

 

La Cour constate que Mme E.U. a démissionné de ses fonctions de gérante dès le 3 novembre 2011, point non contesté par les appelants.

Concernant M. C.U., la Cour analyse sa situation professionnelle et ses revenus pour l'exercice clos le 31 mars 2011. Elle relève que

  • ses revenus déclarés en 2010 provenaient essentiellement de prestations de chômage et d'une activité au sein de la société Randstad (pour un total de 8.043,35 euros), alors que la rémunération perçue au titre de sa gérance de Flexocolor ne s'élevait qu'à 2.500 euros pour l'ensemble de l'exercice.

La Cour en déduit que cette gérance ne constituait pas son activité économique principale pour la période considérée.

 

 

Publié le lundi 7 avril 2025 par La rédaction

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