Notre législation fiscale repose, pour les couples mariés, sur le principe de l’imposition commune et de la solidarité de paiement, tel qu’établi par les articles 6 et 1691 bis du CGI. Ce cadre juridique induit traditionnellement une présomption de représentation mutuelle des époux dans leurs relations avec l’administration. Le juge de l'impôt vient apporter une précision fondamentale sur les limites de cette représentation lorsque le couple se sépare avant la fin de la procédure contentieuse.
En principe, la décision par laquelle l’administration rejette une réclamation préalable doit être notifiée au contribuable pour faire courir le délai de recours contentieux de deux mois devant le tribunal administratif (Art.R. 199-1 du LPF). L’article R. 198-10 du LPF précise que cette notification doit suivre les formes prévues pour la procédure devant le tribunal administratif, renvoyant ainsi au Code de justice administrative (Art. R. 751-3), lequel impose une notification au domicile réel.
Si, durant la période d’imposition, les époux forment une seule unité fiscale, la question se pose de savoir si la notification à l’un des conjoints, ou à l’ancien domicile commun, est opposable à l’autre après leur séparation. Jusqu’alors, la jurisprudence tendait à faire primer la solidarité fiscale, considérant que chaque époux est réputé représenter l’autre tant que le litige porte sur une période d’imposition commune.
Rappel des faits :
M. et Mme B. ont fait l’objet d’un contrôle sur pièces portant sur les années 2010 et 201, périodes durant lesquelles ils étaient soumis à une imposition commune. En mars 2015, l’administration a rejeté leur réclamation. Le pli, envoyé en recommandé à l’ancien domicile conjugal, est retourné avec la mention « pli avisé et non réclamé ». Or, à cette date, M. B. ne résidait plus à cette adresse, fait dont l’administration avait été informée.
M. B. ne saisit le TA de Melun qu'en avril 2019. Les premiers juges, suivis par la CAA de Paris en octobre 2024, rejettent sa demande pour tardiveté. La Cour d'appel a considéré que la notification faite à Mme B. ou à l'adresse commune était régulière et opposable à M. B., en vertu du principe de représentation mutuelle des époux.
- M. B s'est pourvu en cassation il soutient que le délai de recours ne pouvait lui être opposé, faute de notification individuelle à sa nouvelle adresse, connue des services fiscaux.
- De son côté, l’administration se prévaut de la solidarité des codébiteurs fiscaux pour justifier qu’une seule notification au foyer fiscal d’origine suffisait à faire courir les délais à l’égard des deux membres du couple.
Le Conseil d’État vient de censurer le raisonnement de la Cour d'appel.
S'il confirme qu’en principe les époux sont réputés se représenter mutuellement, il apporte une exception importante : si, à la date de la notification du rejet de la réclamation, les époux ont divorcé ou sont en situation d’imposition distincte (Selon l'art. 6-4 du CGI), la notification faite à l’un n’est plus opposable à l’autre, sous réserve que l’administration ait été informée de ce changement de situation et de la nouvelle adresse.
4. Il résulte des dispositions combinées des article 6 et 1691 bis du code général des impôts citées au point précédent que les époux ont la qualité de codébiteurs solidaires de l'impôt sur le revenu et sont réputés se représenter mutuellement dans les instances relatives à la dette fiscale. Toutefois, dans l'hypothèse où des époux précédemment soumis à imposition commune ont divorcé ou sont dans l'une des situations d'impositions distinctes prévues au 4 de l'article 6 du code général des impôts à la date de la notification de la décision par laquelle l'administration fiscale rejette la réclamation formée contre les rectifications apportées aux revenus perçus au cours de la période d'imposition commune, la notification de cette décision à l'un des époux ne fait pas courir le délai de recours prévu à l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales à l'encontre de l'autre époux lorsque l'administration a été informée du changement de situation justifiant des impositions distinctes, et de l'adresse de l'autre époux. En ce cas, en l'absence de notification individuelle à ce dernier de la décision de rejet de la réclamation, celui-ci peut saisir sans délai le tribunal administratif à moins qu'il ne soit établi qu'il a eu connaissance de cette décision. Dans cette dernière hypothèse, le délai de recours ne peut, sauf circonstance exceptionnelle, excéder un an à compter de la date où il a eu connaissance de la décision.
Le Conseil d’État pose une règle claire : dès lors que le foyer fiscal est dissous au sens de l'article 6 du CGI au moment de la notification, l'administration est tenue de procéder à des notifications individuelles pour faire courir le délai de forclusion, à condition que le contribuable ait signalé son changement d'adresse.
En l’espèce, la Haute juridiction. estime que la Cour d'appel a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si le divorce ou la séparation était effectif et connu de l’administration à la date de notification.