Le Sénat a adopté cinq amendements ( et en a rejeté 21) modifiant le régime de l'exonération Dutreil (Article 787 B du CGI), traduisant une volonté partagée des parlementaires de préserver ce dispositif tout en corrigeant ses dérives. Trois amendements identiques ont reçuun double avis favorable de la commission et du Gouvernement, tandis qu'un quatrième amendement a été adopté malgré un double avis défavorable.
L'exclusion des actifs non professionnels de l'assiette de l'exonération
Les trois amendements identiques (I-161, I-382, I-1003) instaurent une liste limitative d'actifs exclus du bénéfice de l'exonération de 75 %. Cette exclusion vise les biens qui, bien qu'inscrits à l'actif d'une holding animatrice éligible au pacte, sont dépourvus de lien avec l'activité économique de l'entreprise.
I. – Après le premier alinéa de l’article 787 B du code général des impôts, sont insérés huit alinéas ainsi rédigés :
« L’exonération ne s’applique pas à la valeur des actifs suivants :
« a. Les biens affectés à l’exercice non professionnel de la chasse ;
« b. Les biens affectés à l’exercice non professionnel de la pêche ;
« c. Lorsqu’ils ne sont pas affectés à une activité professionnelle, les véhicules de tourisme, au sens de l’article L. 421-2 du code des impositions sur les biens et services, les yachts, les bateaux de plaisance à voile ou à moteur et les aéronefs ;
« d. Les bijoux, les métaux précieux et les objets d’art, de collection ou d’antiquité, à l’exclusion de ceux bénéficiant du régime prévu à l’article 238 bis AB du présent code ;
« e. Lorsqu’ils ne sont pas affectés à une activité professionnelle, les chevaux de course ou de concours ;
« f. Lorsqu’ils ne sont pas affectés à une activité professionnelle, les vins et les alcools ;
« g. Les logements et résidences non exclusivement affectés à un usage professionnel. »
Sont désormais exclus de l'exonération les biens affectés à l'exercice non professionnel de la chasse et de la pêche, les véhicules de tourisme, yachts, bateaux de plaisance et aéronefs non affectés à une activité professionnelle, les bijoux, métaux précieux et objets d'art, de collection ou d'antiquité (sauf ceux relevant du régime de l'article 238 bis AB, c'est-à-dire les œuvres d'artistes vivants), les chevaux de course ou de concours non professionnels, les vins et alcools non professionnels, et les logements et résidences non exclusivement affectés à un usage professionnel.
Cette mesure s'inspire directement du modèle allemand, comme le souligne l'exposé des motifs de l'amendement Canévet (I-382). En l'état du droit actuel, les holdings animatrices peuvent en effet intégrer des actifs patrimoniaux sans lien avec l'activité opérationnelle, permettant ainsi de faire bénéficier de l'abattement de 75 % des biens qui auraient normalement été soumis aux droits de mutation à titre gratuit de droit commun
L'allongement de la durée de conservation individuelle
Les trois amendements portent également la durée minimale de détention des actions transmises de quatre à six ans. Cette mesure vise à garantir un engagement plus durable des héritiers dans la continuité de l'entreprise et à s'assurer que le pacte Dutreil remplit effectivement son objectif de pérennisation des entreprises familiales.
L'allongement de deux ans de la période d'engagement individuel renforce la contrainte pesant sur les bénéficiaires de l'exonération et limite les possibilités de céder rapidement les titres après avoir bénéficié de l'avantage fiscal.
Exclusion des actifs numériques
L'amendement N° I-1291, adopté vise à exclure explicitement les actifs numériques (cryptomonnaies, jetons, etc.) du bénéfice fiscal du "Pacte Dutreil". Il s'agit d'une mesure de durcissement fiscal portée par le groupe communiste (CRCE-K), adoptée malgré l'avis défavorable du Gouvernement.
La lutte contre les montages d'optimisation (Amendement I-1804)
L'amendement I-1804 du groupe écologiste va plus loin en s'attaquant à deux pratiques d'optimisation spécifiquement identifiées par la Cour des comptes dans son rapport d'évaluation du dispositif.
- La suppression du "pacte réputé acquis" constitue la première mesure. Ce mécanisme, introduit en 2007, permet de bénéficier du régime Dutreil sans véritable phase d'engagement collectif préalable, en considérant que les conditions du pacte sont "réputées acquises" lorsque le donateur ou le défunt détenait seul les titres depuis au moins deux ans. La Cour des comptes considère que cet assouplissement est largement utilisé pour sécuriser des situations déjà constituées, sans lien avec l'objectif de stabilisation de l'actionnariat familial.
- L'instauration d'une clause anti-abus visant les schémas de "family buy-out" (FBO) est la seconde mesure. Ces montages consistent, pour les héritiers ou donataires, à faire racheter par une société holding endettée qu'ils contrôlent les titres qu'ils viennent de recevoir avec l'abattement de 75 %. L'avantage fiscal est ainsi transformé en levier de désendettement familial plutôt qu'en outil de transmission productive.
La clause anti-abus prévoit que l'exonération est refusée ou remise en cause lorsque les titres transmis font l'objet d'un rachat par une société contrôlée par les héritiers et que l'opération est principalement financée par endettement, défini comme un financement supérieur à 50 % du prix par de la dette nette. Cette définition vise précisément les montages FBO tout en préservant les restructurations capitalistiques motivées par des raisons industrielles ou commerciales légitimes.
Si les trois amendements identiques ont reçu l'appui du Gouvernement, l'amendement I-1804 et l'amendement I-1291 ont été adopté contre l'avis de la commission et du Gouvernement. La question de la suppression du pacte "réputé acquis" et de la clause anti-FBO devra donc être arbitrée en commission mixte paritaire.