Dans le cadre des débats sur le PLF2026, le Sénat a adopté, malgré l'avis défavorable du Gouvernement, deux amendements identiques instaurant une refonte complète du régime d'imposition des plus-values immobilières des particuliers. Cette convergence entre centristes et socialistes traduit la mise en œuvre directe de la recommandation n° 2 du CPO, qui préconise de remplacer les abattements pour durée de détention par un coefficient d'érosion monétaire. Pour mémoire, l'Assemblée nationale avait rejeté un amendement similaire (I-619) porté par le groupe socialiste avant que le texte budgétaire ne soit lui-même rejeté.
Le principe des amenderments adoptés consistent à substituer à la logique d'abattements progressifs jusqu'à exonération totale (22 ans pour l'IR, 30 ans pour les prélèvements sociaux) un mécanisme d'indexation du prix d'acquisition sur l'inflation, couplé à une baisse significative des taux.
| Caractéristiques | Régime actuel | Nouveau régime (≥ 2 ans) | Nouveau régime (< 2 ans) |
|---|---|---|---|
| Taux IR | 19% | 9% | 18% |
| CSG | 9,2% | 3% | 8% |
| Prélèvements de solidarité | 7,5% | 3% | 4% |
| Taux global | 36,2% | 15% | 30% |
| Abattements durée de détention | Oui (jusqu'à exonération) | Non | Non |
| Indexation sur l'inflation | Non | Oui | Oui |
Analyse des modifications législatives
- Article 150 VB CGI (Prix d'acquisition) : Le texte intègre désormais l'érosion monétaire dans la définition du prix d'acquisition. L'indexation sur l'inflation neutralise la composante nominale de la plus-value, ne taxant que l'enrichissement réel.
- Article 150 VC CGI (Abattements) : Les six premiers alinéas définissant le régime d'abattements progressifs sont remplacés par un alinéa unique renvoyant au mécanisme d'érosion monétaire. C'est la suppression du système actuel.
- Article 200 B CGI (Taux IR) : Le taux passe de 19% à 9%, avec une exception à 18% pour les cessions intervenant avant deux ans de détention.
- Article 235 ter CGI (Prélèvements de solidarité) : Création d'un régime dérogatoire spécifique aux plus-values immobilières avec des taux réduits (3% ou 4% selon la durée de détention).
- Article L. 136-6 et L. 136-8 CSS (CSG) : Les plus-values immobilières sont désormais traitées distinctement des plus-values mobilières, avec des taux propres de 3% (détention ≥ 2 ans) ou 8% (détention < 2 ans).
- Article 1609 nonies G CGI : Abrogation de la surtaxe sur les plus-values immobilières élevées (2% à 6% au-delà de 50 000 € de plus-value)
Pour mémoire, le rapport du CPO identifiait le régime actuel comme générateur de rétention foncière : l'exonération totale au bout de 22/30 ans incite les propriétaires à conserver leurs biens plutôt qu'à les céder, aggravant la pénurie de logements. Cette analyse est reprise textuellement dans les exposés des motifs des deux amendements. La recommandation n° 2 du CPO préconisait précisément de remplacer les abattements par un coefficient d'érosion monétaire, tout en prévoyant une application différée d'un an. Le texte adopté reprend cette architecture avec une entrée en vigueur au 1er janvier 2027, laissant aux propriétaires détenteurs de longue date la possibilité de céder leurs biens sous l'ancien régime.
L'absence de période transitoire modulée pose question pour les propriétaires ayant acquis récemment dans la perspective du régime d'abattements. Un bien acquis en 2020 et cédé en 2027 ne bénéficierait plus que de l'indexation sur l'inflation, là où le propriétaire escomptait un abattement de 42% (6% × 7 ans) au titre de l'IR. De même, l'effet sur les recettes fiscales reste incertain. Les auteurs des amendements invoquent une neutralité budgétaire fondée sur le dynamisme des transactions, hypothèse qui mériterait une évaluation plus fine. L'avis défavorable du Gouvernement suggère des réserves sur ce point.
je suis très... très précautionneuse, Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur, sur vos propositions. Théoriquement, conceptuellement, pourquoi pas. À très court terme, ça veut quand même dire qu'il y a des gens qui attendent les fameux 22 ans ou 17 ans comme voté à l'Assemblée, bref, une durée longue, avant de pouvoir vendre. Et là, d'un seul coup, on leur dirait : "Vous savez quoi ? Si vous voulez ne pas être fiscalisé, il faut tout vendre en 2026. Parce que sinon, vous risquez en fait d'être beaucoup plus fiscalisé que ce que vous anticipiez, avec un coefficient d'érosion monétaire qui n'atteindra jamais, du coup, zéro." Donc moi je suis, voilà, très réservée. C'est pas une mauvaise réforme théoriquement si on faisait une grande réforme de la fiscalité foncière et immobilière. Je pense qu'on a quand même tous vu depuis quelques semaines la sensibilité des enjeux de fiscalité sur les enjeux fonciers et immobiliers. Donc j'ai un avis de très grande prudence. Donc un retrait ou défavorable.
Ministre du Budget Amélie de Montchalin
Le sénateur, auteur de l'amendement I-380 a quant à lui précisé...
Madame la Ministre, je comprends vos précautions mais ça fait quand même 6 ans qu'on adopte ce dispositif au niveau du Sénat. Ça fait donc 6 ans qu'on en discute. Donc les personnes qui suivent un peu ces affaires ne peuvent pas dire "on est surpris". En plus on leur donne un an pour s'ajuster. Après, qu'il y ait des plus-values... c'est justement le fait de sa taxation. C'est vrai que si l'érosion monétaire faisait qu'il n'y avait pas de plus-value, bah il y aurait zéro imposition. Ça me parait assez évident. Par contre, qu'on leur dise... alors moi j'étais plutôt sur un taux de 15%, Christine Lavarde souhaiterait le porter à 25, mais moi je pense qu'à 15% honnêtement c'est pas confiscatoire. C'est par rapport à une valeur de plus-value. Et on laisse aux personnes qui détiennent ces biens une année pour s'ajuster. Je ne pense pas qu'on les prenne brutalement. Donc honnêtement je pense que le dispositif a été réfléchi, comme je vous le dis ça fait un petit moment, et puis j'avais eu des discussions déjà avec les services de Bercy. Je pense vraiment que c'est un dispositif vers lequel il faut aller et il ne faut pas reculer chaque année sa date d'adoption. Donc moi je souhaite vraiment que notre assemblée l'adopte à nouveau cette année et qu'on puisse ensuite, même avant la CMP, pouvoir vous convaincre Madame la Ministre que c'est une bonne disposition.
Si le Sénat a, en définitive, adopté la mesure avec l'avis défavorable du Gouvernement, celle-ci ne devrait, à notre avis, pas prospérer dans la navette parlementaire (mais on peut se tromper), le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne ayant plaidé pour la confiance et la méthode de travail proposée par le Gouvernement (et notamment à l'occasioin d'une réunion prévue le 3 janvier prochain) plutôt que pour un vote immédiat :
Merci beaucoup Madame la Présidente. Bon, on connait effectivement l'engagement de notre collègue Delahaye sur ce sujet comme sur d'autres d'ailleurs, qui chaque année a à cœur de défendre des sujets sur lesquels il a travaillé d'arrache-pied. Néanmoins j'entends aussi ce que dit la Ministre sur, comment dire, le signal envoyé sur une réforme qui est quand même une réforme assez profonde. Et je dois reconnaître, depuis que je suis ces débats vendredi, que la Ministre régulièrement fait des ouvertures, notamment en termes de travail dans les toutes prochaines semaines. Et je pense qu'on peut vraiment la prendre au mot. Et qu'elle a à cœur de faire avancer les choses. On a eu le débat hier sur la taxe de séjour, là aussi un groupe de travail va se mettre en place en début d'année prochaine. Je pense qu'on peut lui faire confiance de ce point de vue-là. Et en revanche, c'est vrai que si l'année prochaine ça n'a pas débouché, je serai le premier à dire "cher collègue, allons-y". Mais je crois qu'on peut la créditer d'un engagement sincère vis-à-vis de notre assemblée dans ce souci de nous associer et de pouvoir déboucher de façon opérationnelle. Je crois que c'est ça que nous avons tous à cœur. Et donc je pense que ce serait le meilleur format peut-être pour poursuivre et pour faire aboutir ces discussions me semble-t-il.
Bref...affaire à suivre