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Droits de mutation

L'exonération successorale entre frères et sœurs à l'épreuve du PACS : quand le fiscal suit le civil...analyse d'une cassation attendue

L'articulation entre le droit civil et les dispositifs fiscaux soulève régulièrement des questions d'interprétation. L'arrêt rendu par le juge judiciaire illustre parfaitement cette problématique en privilégiant une approche téléologique sur une lecture strictement littérale et, au cas particulier, en clarifiant les conséquences fiscales du pacte civil de solidarité (PACS) au regard de l'exonération de droits de succession prévue à l'article 796-0 ter du CGI.

 

Pour mémoire, l'article 796-0 ter du CGI institue une exonération de droits de mutation par décès en faveur des frères et sœurs du défunt, sous réserve du respect de conditions strictement définies. Cette disposition vise à protéger les membres de la fratrie se trouvant dans une situation de vulnérabilité économique et ayant vécu en communauté avec le défunt.

 

L'exonération est subordonnée au respect cumulatif de plusieurs conditions. Le bénéficiaire doit être frère ou sœur du défunt, âgé de plus de cinquante ans ou atteint d'une infirmité le mettant dans l'impossibilité de subvenir par son travail aux nécessités de l'existence, et avoir été constamment domicilié avec le défunt pendant les cinq années ayant précédé le décès.

 

Une condition supplémentaire, au cœur du présent litige, exige que le bénéficiaire soit célibataire, veuf, divorcé ou séparé de corps au moment de l'ouverture de la succession.

 

Cette dernière condition reflète la philosophie du dispositif qui entend protéger les personnes isolées ayant consacré leur vie à l'accompagnement d'un proche, renonçant de fait à fonder leur propre foyer. L'exigence de célibat vise ainsi à cibler l'exonération sur les situations où l'héritier se trouve effectivement dépourvu de soutien familial propre.

 

Le pacte civil de solidarité (PACS), créé par la loi du 15 novembre 1999, constitue quant à lui un contrat conclu entre deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune. L'article 515-4 du Code civil précise que les partenaires s'engagent à une vie commune, créant ainsi un lien juridique distinct du mariage mais emportant néanmoins des conséquences juridiques significatives.

 

Rappel des faits :

Madame N. T. est décédée en 2014, instituant par testament son frère V. T. comme légataire universel. Ce dernier vivait avec sa sœur défunte et estimait remplir les conditions de l'exonération prévue par l'article 796-0 ter du CGI.

La déclaration de succession a été déposée sans paiement de droits, V. T. considérant qu'il bénéficiait de l'exonération en raison de sa cohabitation avec sa sœur et de son statut qu'il estimait être celui d'une personne célibataire. Toutefois, une donnée factuelle complexifiait cette analyse : V. T. était lié par un PACS enregistré le 18 février 2002, soit plus de douze ans avant l'ouverture de la succession.

L'administration fiscale a remis en cause l'exonération par une proposition de rectification du 3 mai 2016. Elle estime que la conclusion d'un PACS fait obstacle à la qualification de célibataire exigée par l'article 796-0 ter du CGI. L'engagement à une vie commune caractéristique du PACS est incompatible avec la condition de célibat.

V. T. a contesté cette analyse. Il soutient que l'article 796-0 ter du CGI ne mentionnait expressément que le mariage comme obstacle au célibat fiscal et que, en l'absence de définition légale du célibat en droit fiscal, seule l'absence de mariage devait être prise en compte. 

Après le rejet de sa contestation par l'administration le 15 décembre 2016, V. T. a engagé une action contentieuse. Son décès en cours de procédure d'appel a conduit Mme S., instituée légataire universel par testament, à reprendre l'instance, illustrant les enjeux patrimoniaux attachés à cette question d'interprétation.

La cour d'appel de Toulouse, par son arrêt du 15 février 2021, a donné raison au contribuable en adoptant une interprétation restrictive de l'article 796-0 ter du CGI. Les juges du fond s'étaient appuyés sur le principe d'interprétation stricte de la législation fiscale pour considérer qu'en l'absence de disposition légale définissant expressément le célibat en droit fiscal, cette notion devait s'entendre uniquement par référence au mariage.

Cette analyse conduisait la cour d'appel à considérer qu'une personne célibataire au sens de l'article 796-0 ter était uniquement celle qui n'était pas mariée, excluant ainsi le PACS du champ des unions incompatibles avec le célibat fiscal. Les juges en déduisaient que la circonstance que V. T. soit lié par un PACS ne pouvait le priver du bénéfice de l'exonération. 

 

L'administration fiscale s'est pourvue en Cassation.

 

La Cour de Cassation vient de casser et d'annuler l'arrêt de la CA de Toylouse et de renvoyer l'affaire devant la CA de Bordeaux

 

La Cour de cassation a laissé de côté l'analyse purement littérale afin de s'attacher à la cohérence du système juridique dans son ensemble. Elle a procèdé par une mise en perspective des deux dispositions légales : l'article 515-4 du Code civil définissant les engagements des partenaires pacsés et l'article 796-0 ter du CGI prévoyant l'exonération successorale.

 

La Haute juridiction judiciaire a ainsi relève que les partenaires liés par un PACS s'engagent à une vie commune selon l'article 515-4 du Code civil. Elle en déduit logiquement qu'une personne engagée dans une telle vie commune ne peut être qualifiée de célibataire au sens de l'article 796-0 ter du CGI.

 

La Cour considère que l'esprit de l'article 796-0 ter, qui vise à protéger les personnes isolées, est incompatible avec l'admission au bénéfice de l'exonération de personnes engagées dans une vie commune organisée juridiquement.

 

En cassant l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, la Haute juridiction affirme clairement que le PACS est incompatible avec la qualification de célibataire exigée pour bénéficier de l'exonération de l'article 796-0 ter du CGI.

 

Vu les articles 515-4 du code civil et 796-0 ter du code général des impôts :

Selon le premier de ces textes, les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s'engagent à une vie commune.

Selon le second, est exonérée de droits de mutation par décès, sous certaines conditions qu'il prévoit, la part de chaque frère ou sœur, célibataire, veuf, divorcé ou séparé de corps domicilié avec le défunt pendant les cinq années ayant précédé le décès.

Il en résulte que l'exonération prévue par ce dernier texte ne peut bénéficier à une personne qui, au jour de l'ouverture de la succession, était liée à un tiers par un pacte civil de solidarité.

Pour dire que [V] [T] devait bénéficier de l'exonération prévue à l'article 796-0 ter du code général des impôts et déclarer non fondée la décision de rejet de sa réclamation, l'arrêt énonce que la législation fiscale est d'interprétation stricte et qu'aucune disposition légale ne définit le célibat en droit fiscal. Il ajoute que la situation de l'héritier à la date de l'ouverture de la succession y est appréhendée par référence au mariage, de sorte qu'une personne célibataire au sens de l'article 796-0 ter précité doit uniquement s'entendre de celle qui n'est pas mariée. Il en déduit que la circonstance que M. [T] est lié par un pacte civil de solidarité ne peut le priver du bénéfice de l'exonération prévue par ce texte.

En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

 

Même si nous sommes de fervents défenseurs de "l'autonomie du droit fiscal", reconnaissons que cette décision illustre les limites de l'interprétation stricte de la loi fiscale lorsque celle-ci conduit à des résultats incohérents avec l'économie du système juridique. On ne peut que saluer, la Cour de cassation qui privilégie une interprétation systémique qui prend en compte l'ensemble des dispositions applicables plutôt qu'une lecture isolée du seul article 796-0 ter du CGI.

 

Publié le lundi 2 juin 2025 par La rédaction

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