Le juge de l'impôt nous rappelle les contours de l'imposition des dividendes au regard du principe de libre disposition des revenus. En présence d'un associé unique également dirigeant, le pouvoir de décision sur les modalités de versement des dividendes constitue un élément déterminant dans l'appréciation de la disposition effective des revenus au sens fiscal.
Selon l'article 109-1-2° du CGI, toutes les sommes mises à disposition des associés et non prélevées sur les bénéfices sont considérées comme des revenus distribués, donc imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (RCM). L'article 158-3-1° du CGI précise le fait générateur de l'imposition des revenus mobiliers : soit leur paiement en espèces ou par chèques, soit leur inscription au crédit d'un compte.
La jurisprudence constante (Arrêt du Conseil d'Etat du 14 juin 2017, n° 396930 et autres) établit une présomption : les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé sont considérées comme étant à la disposition de cet associé, donc imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.
L'associé peut échapper à l'imposition en prouvant que ces sommes :
- Ont une contrepartie pour la société (avance de l'associé, prise en charge d'une dette)
- Ne sont pas à sa disposition, en droit ou en fait
L'indisponibilité peut être établie dans deux situations :
- Indisponibilité de fait : lorsque la trésorerie de la société rend tout prélèvement impossible
- Indisponibilité conventionnelle : résultant d'une convention, d'un contrat ou d'une décision de blocage non voulue par l'associé
Pour que l'indisponibilité soit reconnue fiscalement, l'associé ne doit pas avoir participé à la décision de blocage des sommes. Si l'associé a consenti au blocage (par exemple dans le cadre de ses fonctions de direction pour garantir un prêt bancaire), l'administration considérera qu'il a disposé des sommes, qui resteront donc imposables.
Rappel des faits :
M. A est le gérant et l'associé unique d'une EURL soumise à l'IS. Le 30 décembre 2017, en tant qu'associé unique, il a décidé de distribuer des dividendes pour un montant de 222 902 €. Ces dividendes ont été inscrits dans la comptabilité de la société le 31 décembre 2017, au crédit du compte 457 "associés-dividendes à payer", avec une mise en paiement prévue entre le 2 mars et le 30 septembre 2018.
À la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a considéré que ces dividendes devaient être imposés au titre de l'année 2017. Elle a notifié cette rectification le 13 mars 2020 dans le cadre de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du LPF. Le contribuable a contesté cette rectification, qui a été maintenue par l'administration. Les suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ont été mis en recouvrement le 31 décembre 2020.
La réclamation préalable de M. A ayant été rejetée le 29 octobre 2021, celui-ci a saisi le TA de Strasbourg, qui a rejeté sa demande de décharge des impositions par jugement du 17 octobre 2022.
M. A a fait appel de cette décision devant la CAA de Nancy. Pour justifier que ces dividendes n'avaient pas à être imposés en 2017, M. A faisait valoir :
- que ces dividendes de 2017 ont été inscrits dans un compte collectif d'associés et non dans un compte nominatif. Cette inscription ne vaut pas paiement selon la jurisprudence et la doctrine administrative. La décision de l'associé unique prévoyait explicitement une mise en paiement au 2 mars 2018, et malgré sa qualité de gérant et d'associé unique, il était tenu d'exécuter cette décision.
- que la situation de trésorerie de la société ne lui permettait pas, au 31 décembre 2017, de payer effectivement la somme litigieuse, rendant ces fonds indisponibles.
- que sa situation répondait aux conditions prévues par les instructions fiscales BOI-RPPM-RCM-10-20-20-10 n° 50 et BOI-IR-BASE-10-10-10-40 n° 110 à 140, qui lui sont favorables.
La Cour vient de rejeter la demande en décharge
- Elle considère tout d'abord que le compte 457 "associés-dividendes à payer" ne peut être qualifié de compte collectif d'actionnaires dans le cas d'espèce, puisque la société ne compte qu'un seul associé. Ce compte doit donc être considéré comme un compte individuel d'associé.
- La Cour souligne ensuite que les modalités de mise en paiement ont été décidées par M. A lui-même, en sa qualité de gérant et d'associé unique. Cette décision est donc analysée comme un acte de disposition du bénéficiaire des revenus litigieux. En conséquence, M. A avait, en droit, la libre disposition du revenu litigieux au 31 décembre 2017.
- Sur l'argument de l'indisponibilité de fait des fonds, la Cour examine la situation de trésorerie de la société. Elle constate que l'EURL disposait de 55 360 € sur son compte bancaire et de 162 604 € sur des comptes à terme, soit une somme globale de 217 964 € au 31 décembre 2017. Le contribuable n'a pas démontré que les comptes à terme étaient bloqués, la Cour rappelant qu'un compte à terme n'implique pas, en l'absence de stipulation expresse, le blocage des fonds jusqu'au terme prévu.
Par conséquent, compte tenu d'un revenu de 222 902 € et d'une trésorerie disponible de 217 964 €, la Cour admet que seule la somme de 4 938 € n'était pas disponible au 31 décembre 2017 et doit être déduite des revenus de capitaux mobiliers imposables de cette année.
Enfin, la Cour rejette l'argument fondé sur les instructions fiscales, considérant qu'elles ne donnent pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle appliquée dans l'arrêt.
TL;DR
Dans cette décision la CAA de Nancy nous rappelle les règles d'imposition des dividendes dans le cas d'un associé unique également gérant d'une EURL :
- Les dividendes inscrits au compte "associés-dividendes à payer" d'une EURL à associé unique sont considérés comme un compte individuel d'associé et non comme un compte collectif.
- Le fait que l'associé unique décide lui-même d'une mise en paiement différée constitue un acte de disposition qui rend les dividendes imposables l'année de leur inscription comptable (ici 2017), et non l'année de leur mise en paiement effective (2018).
- Seule la partie des dividendes excédant la trésorerie disponible de la société peut être considérée comme indisponible et échapper à l'imposition immédiate (ici seulement 4 938 € sur 222 902 €).
- Les comptes à terme sont présumés disponibles sauf preuve contraire d'un blocage contractuel.