Assimiliation d'un immeuble ancien à un terrain à bâtir, le juge de l'impôt nous rappelle qu'il ne suffit pas d'invoquer des rapports techniques ou des arrêtés de péril, surtout si des actes administratifs ultérieurs ou des usages réels contredisent cette qualification. L'analyse de l'inutilisabilité doit être faite au regard de la destination effective de l'immeuble et non d'un usage impropre
Pour memoire, l'article 257-I-2-1° du CGI (dans sa rédaction issue de la réforme de 2010) retient une définition objective du terrain à bâtir (TAB) qui prescrit de considérer comme tels tous les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application des documents qui caractérisent leur situation au regard des règles d'urbanisme.
Même si les notions de terrain à bâtir et d'immeuble bâti sont exclusives l'une de l'autre, l'administration précise dans sa doctrine BOFIP-Impôts que dans certaines situations, un immeuble bâti peut être assimilé à un terrain à bâtir avec les conséquences que l'on connait en matière de TVA :
Dès lors qu'il est situé dans une zone où les constructions peuvent être autorisées, un immeuble dont l'état le rend impropre à un quelconque usage devra être assimilé à un terrain à bâtir (ruine résultant d'une démolition plus ou moins avancée, bâtiment rendu inutilisable par suite de son état durable d'abandon, immeuble frappé d'un arrêté de péril, chantier inabouti, etc..).
L'administration cherchait ici à appliquer le régime de la TVA sur la marge (Art. 268 du CGI) en qualifiant l'ensemble immobilier de terrain à bâtir. Pour qu'un terrain supportant un bâtiment ancien soit assimilé à un terrain à bâtir, l'administration doit généralement démontrer que le bâtiment est impropre à tout usage et destiné à la démolition.
Rappel des faits :
La SARL M, marchand de biens, a acquis un ensemble immobilier (une friche industrielle comprenant quatre bâtiments achevés depuis plus de cinq ans) en décembre 2018 et l'a revendu en janvier 2019. La cession a été exonérée de TVA.
L'administration fiscale a remis en cause cette exonération et a notifié un rappel de TVA (€) sur la base de la TVA sur la marge, estimant que les bâtiments étaient assimilables à des terrains à bâtir du fait de leur état de délabrement. Le TA de Nice a déchargé la société de cette imposition, et le ministre a fait appel.
L'administration fiscale soutient que les bâtiments étaient impropres à tout usage en raison de leur état dégradé (rapport d'expertise de 2016 et arrêtés municipaux de péril imminent et d'interdiction d'accès), et que la cession relevait donc de la TVA sur la marge.
La SARL M conclue au rejet de l'appel et soutient que le moyen de l'administration fiscale n'est pas fondé, les bâtiments n'étant pas insusceptibles d'un usage effectif.
La CAA de Marseille vient de rejeter la requête du ministre, confirmant la décharge de TVA accordée par le tribunal.
La Cour a procédé à une analyse factuelle des éléments de preuve de l'administration :
Le rapport d'expertise :
Bien que mentionnant la corrosion, la vétusté et un risque d'effondrement, le rapport ca été jugé insuffisant pour prouver l'inutilisabilité totale. La Cour a, en effet, fait valoir :
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que le rapport de 2016 avait un contexte spécifique (occupation illicite et sécurité des personnes).
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qu'un des bâtiments, bien que qualifié de "ruine" par le rapport, comportait encore l'ensemble de sa structure (parois, charpente, toiture) et avait fait l'objet d'une décision de non-opposition à déclaration préalable pour travaux de rénovation en 2018, ce qui implique l'existence d'un bâtiment et non d'une ruine.
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que les autres bâtiments, même dégradés, conservaient leur gros œuvre et étaient à usage industriel/stockage, et non d'habitation, leur "inaptitude à l'usage d'habitation" étant donc non pertinente
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Les actes postérieurs
La Cour a noté que le maire avait prononcé la mainlevée de péril et d'interdiction d'usage en octobre 2016, et que les lieux avaient même été mis à disposition d'une association en 2017 pour un événement pouvant accueillir 500 personnes.
Partant, la Cour a jugé qu'il n'était pas établi que l'ensemble immobilier était insusceptible de faire l'objet d'un usage effectif et conforme à sa destination à la date de la cession (30 janvier 2019). Par conséquent, l'immeuble n'était pas assimilable à un terrain à bâtir, et la cession restait exonérée de TVA.