L'article 111 du CGI établit une présomption de distribution en considérant comme revenus distribués diverses catégories de sommes versées par les sociétés à leurs associés. Le c de cet article vise spécifiquement "les rémunérations et avantages occultes", formulation qui permet à l'administration de saisir tous les transferts de richesse qui ne correspondent pas à une contrepartie normale.
Cette qualification vise les avantages consentis par une société à un tiers sans que l'identité du bénéficiaire ni la nature de l'avantage ne soient révélées dans la comptabilité de la société distributrice. L'article 119 bis 2 prévoit quant à lui que les produits visés aux articles 108 à 117 bis, c'est-à-dire les revenus distribués, donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. Le taux de cette retenue, fixé à l'article 187, s'élevait à 25 % pour les produits perçus au cours des années 2008 à 2011.
Ce dispositif se distingue de celui prévu à l'article 57 du CGI relatif aux transferts de bénéfices à l'étranger. Cet article permet à l'administration d'incorporer aux résultats imposables d'une entreprise française les bénéfices indirectement transférés à des entreprises étrangères liées, que ce transfert s'opère par voie de majoration ou diminution des prix d'achat ou de vente ou par tout autre moyen. Cependant, aux termes mêmes de l'article 57, ce dispositif a trait au seul établissement de l'impôt sur les bénéfices (IR ou IS) par certaines entreprises et non à la retenue à la source sur les revenus distribués.
Rappel des faits :
L’affaire concerne la SG qui, lors des exercices 2008 à 2011, a engagé diverses dépenses (frais de personnel, services informatiques, etc.) pour le compte de ses filiales étrangères sans les leur refacturer, ou en les sous-facturant. Consciente de l'anomalie au regard des règles de prix de transfert, la banque avait spontanément réintégré ces sommes de manière extra-comptable dans son résultat imposable à l’impôt sur les sociétés (IS). En pratique, ces réintégrations sont apparues dans le tableau des réintégrations diverses du feuillet n° 2058 A de ses déclarations de résultats sous les mentions « frais supportés par le siège pour les filiales étrangères », « personnel détaché dans des filiales étrangères » et « prix de transfert ITEC ».
L'administration a regardé les sommes correspondantes comme des avantages occultes au sens de l'article 111-c du CGI, constitutifs de revenus distribués à des résidents non domiciliés en France. Elle a en conséquence assujetti la SG à des rappels de retenue à la source prévue à l’article 119 bis, 2 du CGI pour un montant total, en droits et majorations, de 23 753 143 € au titre des années 2008 à 2011.
Les dépenses en cause comprenaient notamment des prestations informatiques facturées aux filiales mais dont le prix avait été spontanément majoré par la société mère lors de la réintégration extra-comptable, des frais de « corporate services fees », des services informatiques et des frais divers réseau et projets groupe exposés au profit de la filiale algérienne, ainsi que des dépenses de personnel détaché dans certaines filiales étrangères.
La SG a contesté ces rappels devant le TA de Montreuil, qui a partiellement fait droit à sa demande par un jugement du 11 octobre 2018 en prononçant la décharge des rappels correspondant aux distributions effectuées en faveur des filiales situées en Mauritanie, au Burkina Faso et au Bénin, tout en rejetant le surplus de la demande.
La CAA de Versailles, saisie tant par la SG que par le ministre, a rendu un arrêt le 9 février 2021 par lequel elle a accordé une décharge supplémentaire pour les rappels afférents aux charges dénommées « rémunération des dirigeants de DeltaCrédit » et aux distributions en faveur des filiales moldave et géorgienne. Elle a en revanche rejeté le surplus des conclusions de la société ainsi que l'appel du ministre.
Pour confirmer les rectifications contestées, la cour avait fait application des dispositions de l'article 57 du CGI et estimé que SG était présumée avoir réalisé un transfert de bénéfices à des entreprises situées hors de France, de sorte qu'il lui incombait de prouver que ce transfert comportait pour elle une contrepartie suffisante.
Le Conseil d'Etat vient de censurer l'arrêt de la CAA pour erreur de droit et, réglant l'affaire au fond, de confirmer la position de l'administration fiscale
Concernant l'erreur de droit
La Haute juridiction rappelle que l'article 57 du CGI est une disposition spécifique à l'établissement de l'assiette de l'impôt sur les bénéfices (IS ou IR) et ne saurait servir de fondement légal direct à l'application d'une retenue à la source sur les revenus distribués. De surcroît, l'administration fiscale n'avait procédé à aucune rectification du bénéfice imposable sur le fondement de cet article mais avait seulement fait application des dispositions combinées du c de l'article 111 et de l'article 119 bis.
En statuant ainsi, alors que, d'une part, il résulte des termes mêmes de cet article qu'il a trait au seul établissement de l'impôt sur le revenu dû par certaines entreprises et non de la retenue à la source en litige et que, d'autre part, comme le ministre soulignait d'ailleurs en défense, l'administration fiscale n'avait procédé à aucune rectification du bénéfice imposable de la Société Générale au titre des années en litige sur le fondement de l'article 57 du code général des impôts mais seulement fait application des dispositions du c. de l'article 111 et de l'article 119 bis de ce code, la cour a méconnu le champ d'application de la loi et, partant, commis une erreur de droit.
Le Conseil d'Etat, réglant l'affaire au fond, se place alors sur le terrain exclusif des articles 111, c et 119 bis du CGI pour confirmer la position de l'administration.
- Concernant la preuve de l'avantage, il juge que le constat d'une absence de refacturation de charges, exposées au profit des filiales, suffit à établir l'existence d'un avantage
La banque soutenait que la distribution ne pouvait être occulte puisqu'elle avait elle-même réintégré les sommes dans sa déclaration de résultat (imprimé 2058 A). Le Conseil d’État rejette cet argument jugeant que les mentions génériques portées sur la liasse fiscale, telles que « frais supportés par le siège pour les filiales étrangères » ou « prix de transfert ITEC », ne permettaient pas à l'administration d'identifier, à leur seule lecture, ni la nature précise des avantages ni l'identité des bénéficiaires. Partant, la transparence apparente de la réintégration extra-comptable ne suffit pas à lever l'opacité de la distribution. Cette solution confirme que la simple correction arithmétique du résultat fiscal ne vaut pas déclaration libératoire de la distribution au regard de la retenue à la source.
- Concernant l'absence de contrepartie, le Conseil d'État écarte successivement tous les arguments de SG :
- La valorisation des participations n'est qu'un effet indirect de l'avantage consenti et non une contrepartie recherchée.
- La préservation de la situation financière des filiales n'est pas démontrée par les pièces produites.
- La réglementation algérienne sur le contrôle des changes n'interdisait pas une facturation détaillée
- L'intérêt propre de la société mère à détacher du personnel pour promouvoir les carrières internationales reste une simple affirmation non étayée.
Le juge a écarté ces arguments, estimant que la société ne démontrait pas par des éléments concrets que la refacturation était impossible ou qu'elle aurait mis en péril ses propres intérêts. Surtout, la Haute juridiction confirme que la prise en charge de dépenses sans contrepartie avérée caractérise un désinvestissement constitutif d'une distribution, peu importe l'absence de flux financiers réels.
- Concernant la convention fiscale franco-chinoise
SG tentait de qualifier les sommes de « dividendes » pour bénéficier du taux réduit conventionnel. Le Conseil d’État, appliquant une lecture stricte de la convention, considère que les avantages occultes relevant de l'article 111-cc du CGI ne répondent pas à la définition conventionnelle des dividendes, faute d'être soumis au même régime fiscal que les revenus d'actions en droit interne. Ils basculent dès lors dans la catégorie balai des « autres revenus », imposables en France selon l'article 21 de la convention.