Le juge de l'impôt nous rappelle que les régimes d’imposition des bénéfices et ceux de la TVA sont autonome. Au cas particulier il fait une distinction entre la notion de « branche complète d’activité » au sens de l’article 238 quindecies du CGI et celle d'« universalité de biens » au sens de l’article 257 bis du code susvisé, aboutissant à un traitement fiscal différent pour une seule et même opération juridique.
Rappel du contexte
L’article 238 quindecies du CGI exonère d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés, sous certaines conditions, les plus-values réalisées dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole lors de la transmission, à titre onéreux ou à titre gratuit, d’une entreprise individuelle, d’une branche complète d’activité ou, par assimilation, de l’intégralité des droits ou parts de sociétés de personnes considérés comme des éléments d’actif professionnels. Pour mémoire et comme le souligne la doctrine BOFIP-Impôts (BOI-BIC-PVMV-40-20-50, n°100) :
La notion de branche complète d’activité doit être comprise comme en matière d’apports partiels d’actif soumis au régime visé à l’article 210 B du CGI.Elle se définit donc comme l’ensemble des éléments d’actif et de passif d’une division d’une entreprise ou d’une société qui constituent, du point de vue de l’organisation, une exploitation autonome, c’est-à-dire un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens.
Lorsque les conditions posées par cet article sont satisfaites, l’exonération est totale lorsque la valeur des éléments transmis est inférieure à 500 000 € et partielle lorsque cette valeur est comprise entre 500 000 € et 1 000 000 €.
En matière de TVA, l'article 257 bis du CGI dispense de TVA les livraisons de biens et prestations de services réalisées entre redevables lors de la transmission d'une universalité totale ou partielle de biens. Le bénéficiaire de la transmission est alors réputé continuer la personne du cédant, notamment pour les régularisations de taxe déduite. La jurisprudence de la CJUE a précisé la portée de ce dispositif, notamment dans ses arrêts Zita Modes du 27 novembre 2003 et Schriever du 10 novembre 2011. Il en résulte que la dispense s'applique à tout transfert d'un fonds de commerce ou d'une partie autonome d'entreprise comprenant des éléments corporels et, le cas échéant, incorporels qui constituent ensemble une entreprise ou partie d'entreprise susceptible de poursuivre une activité économique autonome. L'appréciation doit être globale et tenir compte de la nature particulière de l'activité économique concernée.
S'agissant de la TVA applicable aux prestations d'entremise, les dispositions issues de la loi du 17 juillet 1992 distinguent selon que l'intermédiaire agit en son nom propre ou au nom d'autrui. L'intermédiaire agissant en son nom propre mais pour le compte d'autrui est réputé avoir personnellement acquis et livré le bien ou reçu et fourni les services, de sorte qu'il est imposé sur le montant total de l'opération au taux applicable aux biens ou services concernés. À l'inverse, l'intermédiaire agissant au nom et pour le compte d'autrui est soumis à la TVA sur sa seule commission, au taux de droit commun.
Rappel des faits :
La société JFL Médical avait conclu le 3 mars 2006 avec la société SBI un contrat qualifié de contrat d'agent commercial, aux termes duquel elle recevait mandat de représenter cette société et de promouvoir la vente de ses produits auprès d'une clientèle et dans un secteur géographique déterminés. Cette activité d'agent commercial s'exerçait parallèlement à des mandats similaires conclus avec d'autres sociétés.
En 2011, la société JFL Médical a cédé ce contrat à la société Osmose pour un montant de 142 000 euros, avec l'accord exprès du directeur général de la société SBI. Il résulte également des éléments du dossier que la société JFL Médical avait précédemment donné accès à son fichier clients à la société Osmose.
La société requérante a placé cette opération sous le régime de l’exonération des plus-values professionnelles prévu à l’article 238 quindecies du CGI et sous la dispense de TVA prévue à l’article 257 bis du CGI. À la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause ces deux régimes de faveur et a par ailleurs rappelé de la TVA sur les commissions perçues, contestant le taux appliqué.
La société JFL Médical a contesté ces impositions devant le TA de Toulouse, qui a rejeté l'ensemble de ses demandes par un jugement du 5 novembre 2019. Saisie en appel, la CAAde Toulouse a, par un arrêt du 12 mai 2022, accordé une décharge partielle des rappels de TVA à concurrence de 12 871 € et rejeté le surplus des conclusions.
Les deux parties se sont pourvues en cassation.
Le Conseil d’Éta a annulé l'arrêt d'appel pour erreur de droit avant de régler l'affaire au fond
Concernant l'exonération de plus-value - 238 quindecies du CGI
Le Conseil d'État rappelle qu'elle n'est acquise que si la branche d'activité transmise est susceptible de faire l'objet d'une exploitation autonome tant chez le cédant que chez le cessionnaire, et sous réserve que la transmission opère un transfert complet des éléments essentiels de cette activité dans des conditions permettant au cessionnaire de disposer durablement de tous ces éléments.
En l'espèce, la société JFL Médical se bornait à soutenir que la cession d'un contrat d'agent commercial constituait par principe une cession de branche complète d'activité, sans préciser de quelle manière son activité au service de la société SBI se distinguait du reste de son activité d'agent commercial exercée pour d'autres sociétés, ni soutenir que la cession s'était accompagnée de la transmission des moyens d'exploitation et du personnel indispensables à l'exercice de cette activité.
Faute de caractériser l'autonomie fonctionnelle de l'activité cédée au sein du patrimoine du cédant, la qualification de branche complète d'activité est écartée, confirmant ainsi la position de l'administration.
Concernant la dispense de TVA sur la cession du contrat - 257 bis du CGI
Le Conseil d'État est arrivé à une solution différente. Il relève que, compte tenu :
- de la consistance limitée des moyens matériels requis pour l'exercice de l'activité d'agent commercial d'une part,
- et de la circonstance que la société JFL Médical avait précédemment donné accès à son fichier clients à la société Osmose d'autre part,
la cession du contrat d'agent commercial suffisait à elle seule à permettre à la société Osmose de poursuivre cette activité de manière autonome. La dispense de TVA est donc accordée.
Ainsi, ce qui ne constitue pas une branche complète d'activité au sens strict de l'IS peut néanmoins constituer une universalité de biens au sens de la TVA. Cette dichotomie, bien que surprenante, s'explique par la finalité distincte des textes : la neutralité de la TVA commande une interprétation large de la dispense pour faciliter les transferts d'entreprises, là où l'exonération de plus-value constitue une dérogation fiscale d'interprétation stricte.
Concernant le régime de TVA applicable aux commissions d'intermédiation.
Le Conseil d'État confirme que la société JFL Médical, agissant au nom et pour le compte de la société SBI, était soumise à la TVA au taux de droit commun sur sa rémunération, sans pouvoir invoquer utilement l'instruction de 1979.
Une même cession de contrat d'agent commercial peut être dispensée de TVA (Art. 257 bis) tout en étant exclue de l'exonération de plus-value (Art. 238 quindecies).
- En matière de TVA, l'approche est plus pragmatique et tient compte de la nature de l'activité : pour un agent commercial, le contrat et le fichier clients suffisent.
- En matière d'exonération de plus-value, l'approche est plus exigeante car il faut prouver une branche distincte et le transfert complet des moyens d'exploitation. Or cette preuve est plus difficile à apporter quand on exerce la même activité pour plusieurs mandants.