La lutte contre l'évasion fiscale internationale demeure une priorité pour les finances publiques, et le dispositif français de taxation des avoirs non déclarés détenus à l'étranger en est l'une des armes les plus redoutables. A ce sujet, le juge de l'impôt vient de clore, du moins pour un temps, un débat sensible portant sur la compatibilité de ce régime avec les principes du droit de l'UE, notamment la sécurité juridique et la liberté de circulation des capitaux. En validant le mécanisme de prescription dérogatoire propre à ce contentieux, je juge valide un dispositif qui confère à l'administration un pouvoir de contrôle étendu dans le temps.
Pour mémoire, le dispositif législatif français visant à lutter contre la dissimulation d'avoirs à l'étranger repose sur plusieurs articles :
L'article 1649 A du CGI impose aux résidents fiscaux français de déclarer les références de leurs comptes ouverts à l'étranger. Lorsque cette obligation déclarative n'a pas été respectée au cours des dix années précédentes, l'administration peut, en vertu de l'article L. 23 C du LPF, demander au contribuable de justifier l'origine et les modalités d'acquisition des avoirs figurant sur ces comptes dans un délai de soixante jours. En l'absence de réponse ou en cas de réponse insuffisante, l'article L. 71 du même livre prévoit une taxation d'office dans les conditions fixées par l'article 755 du CGI.
Cette dernière disposition institue une présomption particulièrement sévère : les avoirs non justifiés sont réputés constituer un patrimoine acquis à titre gratuit, assujetti aux droits de mutation à titre gratuit au taux de 60%, soit le taux le plus élevé du barème applicable entre non-parents. Ces droits sont calculés sur la valeur la plus élevée connue des avoirs au cours des dix années précédant la demande d'informations.
Le régime de prescription applicable est lui-même dérogatoire. L'article L. 181-0 A du LPF prévoit un délai de reprise décennal dont le point de départ correspond, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, à l'expiration des délais impartis par l'article L. 23 C du LPF
Rappel des faits :
L'affaire trouve son origine dans une transmission d'informations effectuée par un procureur de la République en février 2014, sur le fondement de l'article L. 101 du LPF, concernant l'existence de comptes bancaires détenus par M. H et son épouse auprès d'une banque suisse. Ces avoirs portaient sur la période de novembre 2005 à février 2007.
L'administration fiscale a alors engagé la procédure prévue à l'article L. 23 C, demandant au contribuable de justifier l'origine et les modalités d'acquisition de ces avoirs. Face à l'absence de réponse satisfaisante, une proposition de rectification a été notifiée le 6 novembre 2015, suivie d'une mise en recouvrement le 8 août 2016.
Après l'échec de sa réclamation contentieuse, M. H a assigné l'administration en décharge des impositions litigieuses. Débouté en première instance puis en appel par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 novembre 2022, il s'est pourvu en cassation.
- D'une part, il soutient que le fait générateur de l'imposition ne pouvait être que la détention des avoirs non déclarés, et non sa défaillance à répondre à une demande de l'administration. En retenant comme point de départ du délai de prescription la date de sa non-réponse en 2014, les juges du fond auraient violé la loi.
- D'autre part, il se prévaut du fait que cette solution créé un mécanisme d'imprescriptibilité de fait. En permettant à l'administration de déclencher le point de départ du délai de reprise à tout moment par l'envoi d'une simple demande, le dispositif, selon lui, porte une atteinte disproportionnée au principe de sécurité juridique et à la liberté de circulation des capitaux garantie par l'article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
La Cour de Cassation vient de rejeter le pourvoi de M. H
Dans un premier temps, la Haute Juridiction a reconnu que le dispositif français constituait une restriction à la libre circulation des capitaux au sens de l'article 63 du TFUE. La Cour a relevé que l'obligation déclarative imposée aux comptes étrangers n'avait pas d'équivalent pour les comptes domestiques, que le délai de prescription était allongé par rapport au droit commun, et que ces différences de traitement étaient...
...de nature à dissuader, à empêcher ou à limiter les possibilités pour les résidents français d'investir dans d'autres États membres ou des pays tiers.
Dans un deuxième temps, la Cour a vérifié que la restriction poursuivait un objectif légitime compatible avec le traité, qu'elle était justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, qu'elle était propre à garantir la réalisation de cet objectif et qu'elle n'excèdait pas ce qui est nécessaire pour l'atteindre.
S'agissant de l'objectif poursuivi, la Cour rappelle que la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales constitue un objectif constitutionnel reconnu par le Conseil constitutionnel (Décision n° 2021-939 QPC du 15 octobre 2021) et figure au nombre des raisons impérieuses d'intérêt général admises par la jurisprudence européenne (CJCE, arrêt du 11 juin 2009, X et Passenheim-van Schoot, C-155/08 et C-157/08, points 45 et 46 ; CJUE, arrêt du 27 janvier 2022, Commission c/ Espagne, C-788/19, point 22). Elle souligne que le niveau d'information des autorités nationales sur les avoirs détenus à l'étranger demeure globalement plus faible que pour les avoirs domestiques, même en tenant compte des mécanismes d'échange d'informations entre États.
S'agissant de la proportionnalité, la Cour reprend à son compte la jurisprudence européenne selon laquelle un État ne saurait instituer des...
...mécanismes revenant, en pratique, à prolonger indéfiniment la période pendant laquelle l'imposition peut avoir lieu ou permettant de revenir sur une prescription déjà acquise.
Cependant, elle démontre que le dispositif français échappe à cette critique en raison de ses garde-fous intégrés.
- D'abord, l'administration ne peut déclencher la procédure que si les obligations déclaratives n'ont pas été respectées au cours des dix années précédentes.
- Ensuite, le contribuable qui justifie l'origine de ses avoirs échappe à la taxation d'office tout en demeurant soumis au régime de prescription de droit commun applicable aux impositions initialement dues.
- Enfin, même en cas de taxation d'office, le délai de prescription reste limité à dix ans à compter de l'expiration des délais impartis par l'article L. 23 C.
En guise de conclusion la Cour affirme :
le dispositif de taxation d'office des avoirs détenus sur un compte non déclaré à l'étranger, qui poursuit un but légitime, repose sur un régime de prescription qui n'est pas disproportionné au regard de ce but.
Si vous avez raté le début :
- Taxation des avoirs dissimulés à l'étranger et L23 C du LPF : une validation du juge en attendant l'arbitrage de la Cour de cassation
- Avoirs détenus à l'étranger et article L.23C du LPF : le juge sursoit à statuer en attendant l'éclairage de la Cour de cassation
- Détention d'avoirs à l'étranger : sursis à statuer de la cour dans l'attente d'une décision de la CJUE sur l'article 755 du CGI