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Droits de mutation et Dutreil

Suivi Dutreil et prorogation tacite : l'attestation annuelle engage la responsabilité du conseil sur la stratégie globale

Un avocat, même cantonné à une mission apparemment administrative de rédaction d'attestations annuelles, reste tenu d'un devoir de conseil plein et entier sur l'opportunité de maintenir le montage juridique et fiscal qu'il certifie.

 

Pour mémoire, en dehors de l'hypothèse de l'engagement réputé acquis, pour bénéficier de l'exonération Dutreil (Art. 787 B du CGI) lors de la transmission à titre gratuit des titres d'une société, ces derniers (parts ou action) doivent faire l'objet d'un engagement collectif de conservation d'une durée minimale de deux ans en cours au jour de la transmission, qui a été pris par le défunt ou le donateur, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d'autres associés.

Depuis le 1er janvier 2019, cet engagement de conservation peut également être pris par une personne seule, pour elle-même et ses ayants-cause à titre gratuit. Cet engagement unilatéral de conservation suit les mêmes règles que l'engagement collectif.

Ce délai minimal de deux ans démarre à compter de la date d'enregistrement de l'acte qui constate l'engagement de conservation, s'agissant d'un acte sous seing privé, ou de la date de l'acte, s'agissant d'un acte authentique. Cette durée s’apprécie de date à date.

 

En fonction du contexte de l'opération, des souhaits des parties à court, moyen ou long terme, plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :

  • un engagement fixe de deux ans ;
  • un engagement minimal de deux ans avec une prorogation tacite de la même durée ou pour une durée moindre (1 ans, 6 mois, 3 mois...) 
  • Un engagement fixe supérieur à deux ans 

Rappelons que tant que dure l'engagement collectif l'engagement individuel (de 4 ans) des héritiers ou des donataires ne peut commencer à courir.

 

Rappel des faits :

En l'espèce, un engagement collectif est signé en 2011 pour une durée de deux ans avec une clause de prorogation tacite à durée indéterminée. En 2012, un cabinet d'avocats succède au rédacteur initial avec pour mission de rédiger les attestations annuelles de conservation destinées à l'administration fiscale.

 

Ce n'est qu'en 2017 que l'avocat conseille de dénoncer l'engagement collectif pour enclencher la phase d'engagement individuel. Or, en 2020, une opportunité de cession de l'entreprise échoue, les titres étant encore bloqués par les délais de conservation fiscale qui n'avaient commencé à courir qu'en 2017.

 

Les clients reprochent à l'avocat de ne pas les avoir alertés plus tôt, lors de chaque rédaction d'attestation annuelle entre 2013 et 2017, sur l'intérêt de mettre fin à la prorogation tacite pour purger plus vite les délais fiscaux et retrouver leur liberté de disposition.

 

Pour débouter les clients de leur demande indemnitaire, la Cour d'appel d'Amiens (Arrêt du 21 mars 2024) avait adopté une lecture restrictive du périmètre de la mission de l'avocat. Les juges du fond relevaient que le cabinet n'avait pas rédigé l'acte initial de 2011 contenant la clause de prorogation et n'avait pas reçu de mandat général de gestion de patrimoine. Sa mission se bornait à la "pré-rédaction" des attestations annuelles. Pour la Cour d'appel, l'avocat n'avait donc pas à s'immiscer dans la stratégie patrimoniale globale décidée initialement par les clients assistés d'un autre conseil.

 

La Cour de cassation vient de censurer cette décision

 

Au visa de l'article 1147 du code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016) la Cour précise...

 

« Le devoir d'information et de conseil de l'avocat rédacteur d'un acte comporte l'obligation d'appeler l'attention de son client sur l'opportunité et les conséquences de cet acte »

 

La Haute juridiction considère que la rédaction de l'attestation annuelle est un "acte" juridique à part entière. En rédigeant ce document, l'avocat ne se contente pas de constater un fait, iil valide la poursuite de l'engagement collectif pour une année supplémentaire. Par conséquent, il devait, à chaque échéance annuelle, s'interroger et interroger ses clients sur l'opportunité de maintenir ce statu quo ou de basculer vers l'engagement individuel.

 

En s'abstenant d'évoquer les conséquences de la prorogation tacite avant 2017, l'avocat a manqué à son devoir de conseil, peu importe que sa mission fût limitée à une tâche d'exécution ou que le montage initial fût l'œuvre d'un tiers.

 

TL;DR

  • Cet arrêt rnous appelle que que le professionnel qui tient la plume endosse la responsabilité de la stratégie sous-jacente, même s'il n'en est pas l'architecte initial.
  • L'avocat (ou le notaire/expert-comptable) ne peut se retrancher derrière une mission ponctuelle ou limitée pour s'exonérer de son devoir de conseil incident. S'il intervient sur un dossier, il doit vérifier que l'acte qu'il pose est toujours conforme à l'intérêt du client à l'instant T. En matière de Pacte Dutreil, cela impose de vérifier systématiquement si la prorogation de l'engagement collectif est toujours justifiée ou si elle devient contre-productive.

Publié le lundi 24 novembre 2025 par La rédaction

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