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Contrôle et contentieux

Holding animatrice et prestations de direction non facturées : l'obstacle de la nullité civile ne fait pas échec à l'acte anormal de gestion

Le juge de l'impôt vient d'être amené à trancher le cas particulier d'une holding invoquant la nullité potentielle des conventions intragroupes pour légitimer la gratuité de ses prestations et faire échec à la qualification d'acte anormal de gestion. Quid de l'autonomie du droit fiscal face aux contraintes alléguées du droit des contrats ?

 

Dans le contexte des groupes de sociétés, la théorie de l'acte anormal de gestion trouve une application fréquente s'agissant des prestations de services intragroupe, et notamment des fonctions de direction et d'animation assumées par la holding. Lorsqu'une société mère met à disposition de ses filiales les compétences de ses dirigeants ou de ses équipes, elle est en principe fondée à facturer ces prestations à leur juste valeur. L'absence de facturation, ou une facturation insuffisante, caractérise un transfert indirect de bénéfices constitutif d'un acte anormal de gestion, la holding s'appauvrissant au profit de ses filiales sans contrepartie.

 

Or, la question de la charge de la preuve revêt une importance déterminante dans ce contentieux. En principe, il appartient à l'administration d'établir les faits sur lesquels elle fonde la qualification d'acte anormal de gestion. Toutefois, ce principe connaît une exception majeure prévue par l'article R. 194-1 du LPF : lorsque le contribuable a accepté les rectifications, expressément ou tacitement par défaut de réponse à la proposition de rectification dans le délai légal, la charge de la preuve lui incombe. Il doit alors démontrer le caractère exagéré des impositions mises à sa charge.

 

Rappel des faits :

La SARL A exerçait une activité de prise et de gestion de participations ainsi que de prestations de services aux entreprises. Elle détenait plusieurs filiales dont elle assurait l'animation. Son gérant, rémunéré par la holding qui supportait les charges sociales correspondantes, était également gérant des sociétés filiales.

À l'occasion d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 30 juin 2016, 2017 et 2018, l'administration fiscale a constaté que le gérant de la SARL A consacrait l'essentiel de son activité aux filiales du groupe, sans que ces prestations fassent l'objet d'une quelconque facturation. Le service a considéré que la holding supportait ainsi des charges de personnel au bénéfice exclusif de ses filiales, sans percevoir de rémunération en contrepartie. Cette situation caractérisait, selon l'administration, un acte anormal de gestion justifiant la réintégration des charges correspondantes dans le résultat imposable de la SARL A.

La proposition de rectification a été adressée à la SARL A le 7 octobre 2019 par LR/AR. Le pli a été présenté à l'adresse du siège social le 8 octobre 2019, puis un avis de mise à disposition a été déposé le 9 octobre 2019. La société n'ayant pas retiré ce pli, celui-ci a été retourné à l'administration avec la mention "pli avisé - non réclamé".

La SARL A n'a formulé aucune observation dans le délai d'un mois prévu par l'article L. 11 du LPF et n'a pas davantage sollicité la prorogation de ce délai. Cette absence de réponse emportait acceptation tacite des rectifications proposées, avec pour conséquence le renversement de la charge de la preuve au détriment de la contribuable.

 

Après mise en recouvrement et obtention d'un dégrèvement partiel, la société a saisi le TA de Paris qui a rejeté sa demande par jugement du 26 février 2024. La SARL A a donc fait appel de cette décision.

  • Sur le terrain de la preuve, A contestait avoir accepté les rectifications et soutenait que la charge de la preuve incombait à l'administration, laquelle n'aurait pas démontré que l'absence de facturation constituait un acte anormal de gestion. Elle faisait également valoir que son gérant exerçait une activité réelle à son profit et pas uniquement au bénéfice des filiales.
  • Sur le fond A soutenait que des conventions de prestations de services conclues entre elle-même et ses filiales auraient été nécessairement entachées de nullité, dès lors que son gérant était également gérant desdites filiales. Une même personne physique ne pouvant valablement représenter les deux parties à un contrat, de telles conventions auraient été dépourvues de cause et donc nulles. La société en déduisait que l'administration ne pouvait lui reprocher de ne pas avoir conclu des conventions juridiquement impossibles.

 

La CAA de Paris vient de rejeter la requête de la SARL A

 

Sur la charge de la preuve

L'arrêt repose en premier lieu les dispositions  de l'article R. 194-1 du LPF. La Cour constate que la proposition de rectification a été régulièrement notifiée à la société, le pli ayant été présenté à son siège social puis mis à disposition au bureau de poste. La SARL A n'ayant pas retiré ce pli ni formulé d'observations dans le délai légal d'un mois, elle est réputée avoir tacitement accepté les redressements.

Partant il ne revient plus à l'administration de démontrer l'acte anormal de gestion, mais au contribuable d'établir le caractère exagéré de l'imposition, ce qu'il n'était manifestement pas en mesure de produire.

 

Sur le fond

Le litige portait sur l'absence de facturation aux filiales des prestations de direction assurées par le gérant de la holding. La Cour écarte successivement les deux arguments de défense.

  • D'une part, l'allégation selon laquelle les filiales disposeraient de salariés accomplissant les tâches administratives n'est pas suffisamment étayée, la société n'ayant produit aucun élément précis sur les missions de ces salariés ni sur l'activité effectivement exercée par le gérant au profit de la holding elle-même.
  • D'autre part, la société invoquait un argument juridique tiré du droit des obligations, soutenant qu'une convention de prestations de services (type convention de management) entre la holding et ses filiales aurait été entachée de nullité pour absence de cause, le gérant étant commun aux deux structures. La Cour écarte cet argument. Elle rappelle que la validité civile hypothétique d'une convention est sans incidence sur l'appréciation de la normalité de l'acte de gestion. Le fait pour la holding d'effectuer des prestations pour ses filiales sans rémunération constitue, par nature, un acte anormal, peu important les arguties sur la capacité du dirigeant commun à contracter avec lui-même. L'autonomie du droit fiscal prévaut ici sur les contraintes supposées du droit des contrats : si le dirigeant travaille pour la filiale, la filiale doit payer, ou la holding ne doit pas supporter le coût. En s'appauvrissant sans contrepartie, la société a commis un acte anormal de gestion, quelles que soient les difficultés contractuelles invoquées pour régulariser la situation.

Enfin, la circonstance alléguée que des conventions passées entre la SARL Aligest et ses filiales, en vue de prévoir la rétribution par ces dernières de prestations de services effectuées par le gérant de la première, qui est également gérant des filiales, seraient nécessairement entachées de nullité en ce qu'elles seraient dépourvues de cause est, en tout état de cause, sans incidence sur la possibilité de qualifier d'acte anormal de gestion le fait, pour la SARL Aligest, d'avoir effectué des prestations de services pour ses filiales sans percevoir des rémunérations en contrepartie de ces prestations.

Par suite, la société requérante n'établit pas le caractère exagéré des redressements en litige et n'est pas fondée à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant des rehaussements auxquels a procédé le service en conséquence de cette qualification ni à demander le rétablissement de déficits reportables au titre des exercices clos les 30 juin 2016 et 30 juin 2017.

 

 

TL;DR

  • On ne peut pas invoquer un obstacle juridique que l'on a soi-même créé pour échapper à l'impôt. La société avait choisi de nommer le même gérant à la tête de la holding et de ses filiales ; elle ne pouvait ensuite se retrancher derrière les difficultés contractuelles induites par ce choix pour justifier l'absence de facturation des prestations intragroupe.
  • Pour les les PME structurées autour d'une holding, la leçon est claire : la mise à disposition, même informelle, d'un dirigeant au profit de filiales doit impérativement faire l'objet d'une refacturation (management fees) à hauteur des coûts supportés et du service rendu. À défaut, la holding s'expose à la réintégration des charges correspondantes ou à la taxation des produits non perçus.
  • Enfin, plus prosaïque mais tout aussi essentiel : ne jamais laisser sans réponse une proposition de rectification. En effet, ignorer une proposition de rectification, c'est s'imposer le fardeau de la preuve... souvent insurmontable 

 

Publié le mercredi 3 décembre 2025 par La rédaction

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