Nouveau coup de théâtre à l'Assemblée nationale ce mardi soir. Les députés ont adopté un amendement porté par le groupe La France Insoumise, malgré l'avis défavorable unanime du Gouvernement et du Rapporteur général. Cette adoption, qui insère un nouvel article 209, XI, au CGI instaure une taxation des multinationales avec un taux cible de 25 %, cette mesure prend le contre-pied absolu des principes conventionnels actuels et du consensus multilatéral de l'OCDE (Pilier II), ouvrant la voie à une période de contentieux.
Pour mémoire, le 8 octobre 2021, près de 140 pays du Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS sont parvenus à un accord historique sur la réforme fiscale internationale, ainsi que sur un plan de mise en œuvre détaillé. Le 22 décembre 2021, la Commission a présenté une proposition de directive visant à mettre en œuvre le Pilier 2 d'une manière cohérente et compatible avec le droit européen.
La Commission a présenté la proposition DAC9 le 17 octobre 2024. Le Parlement européen a été consulté sur la proposition et a rendu son avis le 12 février 2025.
L'objectif de cette directive est de mettre en œuvre des dispositions spécifiques de la Directive Pilier 2 qui a appliqué dans l'UE l'accord mondial du G20/OCDE sur la réforme fiscale internationale.
Cet accord international a été conclu pour limiter la course vers le bas des taux d'imposition des sociétés, réduire le risque d'érosion de la base d'imposition et de transfert de bénéfices, et garantir que les plus grands groupes multinationaux paient le taux minimum mondial convenu d'imposition des sociétés.
La Directive Pilier 2 assure que les bénéfices des plus grands groupes ou sociétés multinationaux et nationaux (avec un chiffre d'affaires annuel combiné d'au moins 750 millions d'euros) sont imposés à un taux effectif minimum de 15%.
L'amendement adopté vise à s'attaquer à l'optimisation fiscale agressive des multinationales, que ses auteurs estiment entre 80 et 100 Mds€ par an, notamment via la manipulation des prix de transfert.
Le mécanisme principal impose les personnes morales en France sur la base de leurs bénéfices mondiaux, auxquels est appliqué un ratio "chiffre d'affaires français / chiffre d'affaires mondial". L'objectif affiché est de garantir que cette part de bénéfices, ainsi allouée à la France, soit soumise à un taux d'imposition de 25 %.
Cet amendement a été vivement critiqué par l'exécutif et des députés, tels que M. Mattei, ont souligné les risques d'une telle mesure qui ne peut fonctionner au regard des règles du droit internationnal.
- En premier lieu, ce dispositif entre en violation directe avec la quasi-totalité des conventions fiscales bilatérales signées par la France (125 en tout), qui reposent sur le principe de pleine concurrence et la définition de l'établissement stable. Comme l'a souligné M. Mattei, cette incompatibilité conventionnelle (supérieure à la loi interne en vertu de l'article 55 de la Constitution) va engendrer des contentieux de masse vis à vis de l'État qui sera contraint à des remboursements important qui vont grever le budget.
- En second lieu, le Rapporteur général Juvin a insisté sur la contradiction flagrante avec le Pilier II de l'OCDE, récemment transposé en droit européen. Alors qu'un consensus mondial fragile a été trouvé sur un taux minimum de 15 %, la prétention française d'imposer unilatéralement un taux de 25 % non seulement brise cet accord, mais place la France en position de "cavalier seul" fiscal.
Le risque, soulevé par le Rapporteur, est une fuite des entreprises vers des juridictions respectant, elles, le consensus des 15 %.
Le ministre Roland Lescure a résumé la situation en estimant que cette mesure ne rapporterait pas les "20 milliards d'euros" espérés par ses promoteurs, mais plutôt "20 milliards d'ennuis", qualifiant le dispositif de "double taxation" manifeste.
L'amendement a été adopté avec un double avis négatif Rapporteur/Gouvernement par 207 voix pour et 89 voix contre.
Affaire à suivre avec la navette parlementaire et le contrôle constitutionnel