Décision surprenante qui remet en cause une doctrine fiscale que l'on pensait bien établie, celle de l'immeuble qui constituait la résidence principale des époux lors de la séparation. Le juge de l'impôt vient de rejetter le pourvoi de contribuables validant la position sévère des juges du fond qui ont refusé l'exonération "résidence principale" à un époux séparé ayant quitté le logement 7 ans avant la vente.
Pour mémoire, en matière d'exonération de plus-value immobilière au titre de la résidence principale (Art. 150-U-II-1 du CGI) il ressort de la doctrine BOFIP applicable au moment des fait que :
La condition tenant à l'occupation du logement à titre d'habitation principale au jour de la cession n'est pas toujours satisfaite en cas de séparation ou de divorce, notamment lorsque l'un des conjoints a été contraint de quitter le logement qui constituait alors sa résidence principale.
Il est toutefois admis, lorsque l'immeuble cédé ne constitue plus, à la date de la cession, la résidence principale du contribuable, que celui-ci puisse néanmoins bénéficier de l'exonération prévue au 1° du II de l'article 150 U du CGI dès lors que le logement a été occupé par son ex-conjoint jusqu'à sa mise en vente et que la cession intervient dans les délais normaux de vente (sur cette dernière notion, se reporter au III-A § 190).
Il est précisé que la circonstance que le contribuable est propriétaire du logement qu'il occupe à la date de la cession de l'ancienne résidence commune des époux n'est pas de nature à écarter le bénéfice de l'exonération.
Le bénéfice de l'exonération n'est en revanche subordonné à aucun délai particulier entre la date de séparation et la date de mise en vente (RM Breton n° 14197, JO AN du 8 avril 2008, p. 3065).
La doctrine qui preexistait au BOFIP l’instruction administrative du 14 janvier 2004, publiée au BOI 8 M-1-04 allait également dans le même sens.
Rappel des faits :
M. et Mme D, qui sont mariés sous le régime de la communauté universelle, ont cédé, le 6 janvier 2014, une maison d'habitation située sur l'ile de Saint-Martin, et ont placé la plus-value réalisée lors de cette cession sous le bénéfice de l'exonération prévue par le II de l'article 150 U du CGI en cas de cession de la résidence principale. L'administration a remis en cause le bénéfice de l'exonération en ce qui concerne M. D..., qui déclare depuis 2007 ses revenus en France, où il a sa résidence principale à Toulon. Dans ces conditions, et alors même que la maison constituait la résidence principale de Mme D au jour de sa cession, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause le bénéfice de l'exonération de la plus-value en ce qui concerne la part revenant à M. D et l'a assujettie aux prélèvements sociaux.
M. et Mme D ont contesté les rappels d'impôt devant le TA de Toulon, puis devant la CAA de Marseille, sans succès. Les juges du fond ont validé la position de l'administration, conduisant les époux à se pourvoir en cassation.
Lire notre commentaire critique de la décision du TA : Immeuble constituant la résidence principale d'ex-conjoints : quid de la plus-value en cas de cession plus de 7 ans après la séparation
- Les requérants soutiennent que la nature commune du bien, renforcée par le régime de la communauté universelle, doit permettre une appréciation globale de la condition de résidence principale, l'occupation par l'un des époux devant profiter à la communauté tout entière.
Le Conseil d'État vient de rejeter cette argumentation et de confirme l'arrêt d'appel
Il pose en principe que le bénéfice de l'exonération de l'article 150 U du CGI est strictement subordonné à la condition que le bien cédé constitue la résidence principale du cédant. Dans une situation de pluralité de cédants, qu'ils soient indivisaires ou co-propriétaires communs, le respect de cette condition s'apprécie individuellement pour chacun d'eux.
Le bénéfice de l'exonération prévue au 1° du II de cet article est subordonné à la condition que le bien cédé constitue la résidence principale du cédant.
En cas de pluralité de cédants, le respect de cette condition s'apprécie pour chacun d'entre eux et l'exonération ne porte que sur la fraction de plus-value revenant à celui ou ceux des cédants dont le bien constitue la résidence principale au jour de la cession, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que les cédants soient soumis à la règle de l'imposition commune prévue par les dispositions du 1 de l'article 6 du code général des impôts.
Partant pour le juge, l'exonération ne porte que sur la quote-part de plus-value revenant au cédant qui remplit effectivement la condition d'occupation. Le Conseil d'Etat précise explicitement que la circonstance que les cédants soient soumis à une imposition commune ou mariés sous un régime communautaire ne fait pas obstacle à cette ventilation. En l'espèce, puisque Monsieur résidait à Toulon depuis la séparation en 2007, sa part de plus-value ne pouvait bénéficier de l'exonération, quand bien même le bien restait la résidence de son épouse et un actif de la communauté.
Sur le terrain de la garantie contre les changements de doctrine, M. et Mme D tentaient de se prévaloir de l'instruction BOI 8 M-2-07 N° 94 du 24 Juillet 2007 et de la réponse Breton du 8 avril 2008 précitée plus favorables aux couples séparés. Le Conseil d'État écarte cet argument par une substitution de motifs : ces doctrines ont été rapportées par l'instruction du 7 septembre 2012 créant le (BOFiP-Impôts). La cession étant intervenue en 2014, soit postérieurement à cette abrogation générale, les contribuables ne pouvaient plus s'en prévaloir.
cette instruction et cette réponse ministérielle ont été rapportées à compter du 12 septembre 2012 par l'instruction 13 A-2-12 du 7 septembre 2012, publiée au Bulletin officiel des impôts du même jour, relative à la création de la base documentaire " Bulletin officiel des finances publiques - Impôts ". Il suit de là que l'instruction et la réponse ministérielle dont les requérants se prévalaient avaient été rapportées antérieurement à la cession en cause, de sorte qu'ils ne pouvaient pas s'en prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, pour faire obstacle à l'imposition qu'ils contestent. Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et ne comporte l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué aux motifs retenus sur ce point par l'arrêt de la cour administrative d'appel, dont il justifie légalement le dispositif. Par suite, le dernier moyen du pourvoi, dirigé contre ces motifs, ne peut qu'être écarté comme inopérant.
Cette prise de position trés sévère nous questionne, puisque la doctrine BOFIP depuis le 12 septembre 2012 a intégré la réponse Breton dans ces commentaires de même que l'instruction de 2007.
Peut-être que le Conseil d'État a, au cas particulier, sanctionné une erreur de stratégie contentieuse : les avocats ont visé les anciens textes abrogés au lieu du BOFIP en vigueur.