Nouvelle décision en matière d'apport de titres avec soulte réalisé avant le 1er janvier 2017, qui nous rappelle que la fraction de la plus-value afférente à cette soulte est imposable immédiatement en cas d’abus de droit (le reste demeurant en report) et qui précise que l’imposition immédiate de cette fraction ne saurait faire échec à l’application des règles générales d’assiette, notamment l’abattement pour durée de détention, dès lors que les conditions d’application sont remplies.
L'article 150-0 B ter du CGI, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, prévoyait un mécanisme de report d'imposition pour les plus-values d'apport de titres à une société contrôlée par l'apporteur. Ce dispositif avait été introduit par la loi de finances pour 2013 en remplacement du régime de sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du même code, avec pour objectif de favoriser les opérations de restructuration d'entreprises en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value ne fasse obstacle à leur réalisation.
Le texte précisait que "les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10% de la valeur nominale des titres reçus". A contrario, lorsque la soulte ne dépassait pas ce seuil, la plus-value d'apport, y compris la partie rémunérée par la soulte, bénéficiait du report d'imposition.
Pour les opérations d'apport intervenues depuis le 1er janvier 2017 (Art. 32 de la LFR pour 2016), lorsque la condition relative à l’importance de la soulte est remplie (soulte reçue inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus), la plus-value d'apport est, à concurrence du montant de cette soulte, imposée au titre de l'année de l'apport.
Toutefois, l’administration a toujours la possibilité, dans le cadre de la procédure de l’abus de droit fiscal, prévue à l’article L. 64 du LPF, notamment d’imposer la soulte reçue, s’il s’avère que cette opération ne présente pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport, et est uniquement motivée par la volonté de l’apporteur d’appréhender une somme d’argent en franchise immédiate d’impôt et d’échapper ainsi notamment à l’imposition de distributions du fait de ce désinvestissement. BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60-20160304.
Rappel des faits :
En 2013, M. A a procédé à l'apport de titres de la société française D à une société luxembourgeoise, P. Les titres acquis pour un montant dérisoire de 3 811 € ont été apportés pour une valeur de 8 M€, générant une plus-value considérable de près de 8 M€
En contrepartie, M. A a reçu 10 000 actions de Precafin et une soulte de 720 000 €, inscrite au crédit de son compte courant d'associé. Puisque cette soulte était inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, M. A a estimé pouvoir bénéficier du report d'imposition de l'article 150-0 B ter du CGI sur la plus-value de près de 8 M€, déclarant une plus-value réduite (1 199 428 euros) après application de l'abattement pour durée de détention.
L'administration fiscale, à l'issue d'un examen de la situation fiscale personnelle de M. et Mme A, a considéré que la rémunération de l'apport par cette soulte était constitutive d'un abus de droit. Elle a donc remis en cause le bénéfice du report d'imposition et a assujetti le foyer fiscal à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, assorties de la majoration de 80 %.
Le tribunal administratif de Lille avait partiellement donné raison aux contribuables en déchargeant Mme A... des contributions sociales, mais avait rejeté le surplus de leurs demandes. La CAA de Douai, saisie par le ministre, a annulé cette décharge et remis l'imposition à la charge de Mme A, tout en rejetant l'appel des contribuables. Pour mémoire, la Cour a jugé que la remise en cause du report d'imposition devait entraîner l'imposition immédiate de l'intégralité de la soulte de 720 000 €, sans application de l'abattement pour durée de détention. Cette position revenait à considérer que la qualification d'abus de droit faisait perdre au contribuable le bénéfice de tous les mécanismes d'allégement fiscal, y compris ceux non directement liés à l'abus constaté.
C'est sur ce point que le litige a été porté devant le Conseil d'État.
La haute juridiction administrative vient d'annuler l'arrêt de la CAA de Douai
Le Conseil d'État a d'abord rappelé que lorsque l'administration ne conteste pas l'opération d'apport elle-même comme un abus de droit, mais seulement le choix de rémunérer l'apport au moyen d'une soulte bénéficiant du report d'imposition, la conséquence de l'abus de droit est la remise en cause, à concurrence du montant de la soulte, du report d'imposition.
Cela entraîne donc la soumission immédiate de cette partie de la plus-value à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales sur les revenus de patrimoine. La part de la plus-value excédant la soulte peut, elle, continuer à bénéficier du report.
La CAA de Douai avait jugé que l'imposition immédiate de la soulte devait se faire sur son montant intégral, sans application de l'abattement pour durée de détention prévu à l'article 150-0 D du CGI.
Le Conseil d'État a censuré cette interprétation. Il a affirmé qu'en jugeant que la remise en cause de l'abus de droit devait entraîner l'imposition immédiate du montant intégral de la soulte sans qu'il y ait lieu d'y appliquer la règle d'assiette relative à l'abattement pour durée de détention, la cour administrative d'appel avait commis une erreur de droit.
Autrement dit, même en cas de remise en cause d'un abus de droit concernant une soulte d'apport, le montant de la soulte soumis immédiatement à l'impôt peut bénéficier des abattements pour durée de détention prévus par l'article 150-0 D du CGI, si les conditions de détention des titres sont remplies.