Le juge de l'impôt vient de répondre à une question importante en matière de donation internationale : l'imputation prévue par l'article 784 A doit-elle être limitée par les différences d'assiette entre les systèmes fiscaux français et étrangers ?
Le droit existant dispose, via l’article 750 ter du CGI, que les biens meubles et immeubles transmis à l’héritier soient taxés en France si celui‑ci a eu son domicile fiscal en France pendant 6 ans durant les 10 années précédant la succession, et ce, que les biens précités soient situés en France ou en dehors du territoire national, ce qui, en l’absence d’une convention bilatérale, ouvre le droit à une taxation dont le montant n’est pas plafonné.
L’article 784 A du même code ne tempère que très légèrement cet état de fait, en permettant aux héritiers d’imputer les droits de succession réglés auprès d’une administration fiscale étrangère mais uniquement sur la part relevant des biens situés à l’étranger.
En effet, l'article 784 A du CGI constitue un mécanisme d'imputation destiné à éviter la double imposition en matière de droits de mutation à titre gratuit. Ce dispositif, applicable en l'absence de convention fiscale internationale, dispose que :
dans les cas définis aux 1° et 3° de l'article 750 ter, le montant des droits de mutation à titre gratuit acquitté, le cas échéant, hors de France, est imputable sur l'impôt exigible en France. Cette imputation est limitée à l'impôt acquitté sur les biens meubles et immeubles situés hors de France.
Pour mémoire, un contribuable avait soulevé une QPC visant l'article 784 A du CGI, arguant que cette disposition méconnaissait les principes constitutionnels d'égalité devant les charges publiques et du respect du droit de propriété. Par une décision du 4 septembre 2024, le juge de l'impôt a refusé de transmettre la QPC à la Cour de cassation.
La question soulevée par cette affaire porte sur l'interprétation de cette disposition : faut-il exiger une identité d'assiette entre l'impôt français et l'impôt étranger pour déterminer le montant restituable, ou convient-il de prendre en compte l'intégralité de l'impôt acquitté à l'étranger sur les biens concernés, indépendamment de ses modalités de calcul ?
Rappel des faits :
En avril 2019, Madame N., résidente fiscale suisse domiciliée dans le canton de Vaud, et son époux ont consenti une donation-partage avec réserve d'usufruit portant sur des actions d'une société luxembourgeoise EBENE SA au profit de leurs trois enfants domiciliés en France. Cette opération a généré une double imposition : d'une part, les droits français se sont élevés à 244 425 € sur la valeur de la nue-propriété transmise, d'autre part, l'administration fiscale suisse a perçu 183 897 € sur la valeur en pleine propriété des mêmes actions.
La différence d'assiette est significative : alors que la France taxe la nue-propriété effectivement transmise, la Suisse impose la valeur en pleine propriété des biens, ce qui constitue une assiette plus large malgré un montant d'impôt finalement inférieur.
Face à cette double imposition, Madame N. a sollicité la restitution de l'intégralité de l'impôt acquitté en Suisse, soit 183 897 €, sur le fondement de l'article 784 A du CGI. L'administration fiscale n'a accordé qu'une restitution partielle de 110 179 €, calculée en appliquant un coefficient de réduction proportionnel à la différence d'assiette : droits suisses × (valeur nue-propriété / valeur pleine propriété).
Le tribunal de première instance a donné raison à l'administration, considérant que l'imputation devait être limitée à la fraction de l'impôt étranger correspondant à l'assiette française.
La contribuable soutient que le texte (Art. 784 A du CGI) ne pose que deux limites au droit à restitution :
- le montant ne peut excéder l'impôt payé en France,
- et il doit porter sur des biens situés hors de France.
Elle estime qu'imposer une identité d'assiette revient à créer une condition non prévue par le texte et abouti à maintenir une situation de double imposition, contraire à l'objectif poursuivi par la loi.
L'administration fiscale, pour sa part, défend sa méthode de calcul en soutenant que l'imputation ne peut porter que sur l'impôt effectivement versé à l'étranger sur les biens en question, ce qui implique nécessairement de tenir compte des différences d'assiette.
La Cour d'appel de Paris vient d'infirmer la décision du tribunal judiciaire de Paris faisant ainsi droit à la demande de restitution complémentaire de Mme N.
Comme la Cour de Cassation dans sa décision concernant l'article 796-0 ter du CGI, la Cour d'appel est allée rechercher la raison d'être (ratio legis) de l'article 784 A du CGI, privilégiant l'objectif de lutte contre la double imposition sur une lecture littérale restrictive.
Elle considère que
l'application de ce texte justifie de prendre en compte, pour l'imputation, le montant de l'impôt acquitté en raison même de la mutation des biens situés à l'étranger indépendamment de ses modalités de calcul.
Cette solution repose sur plusieurs considérations.
- Premièrement, la Cour relève que le texte se réfère uniquement à...
...l'impôt acquitté sur les biens meubles et immeubles situés hors de France
sans mentionner les modalités de calcul ou l'assiette de cet impôt.
- Deuxièmement, elle souligne que l'objectif poursuivi par la disposition est de...
...limiter les cas de doubles impositions
ce qui milite pour une interprétation extensive du mécanisme d'imputation.
La Cour considère qu'exiger une identité d'assiette reviendrait à ajouter une condition non prévue par le législateur et aboutirait paradoxalement à maintenir une situation de double imposition, précisément ce que la loi cherche à éviter. Elle fait ainsi primer la finalité du texte sur sa lettre.
Cette décision permet ainsi de sécuriser les opérations impliquant des résidents de pays avec lesquels la France n'a pas conclu de convention de double imposition en matière de succession, situation fréquente notamment avec la Suisse.
Mais cette solution pourrait inciter l'administration fiscale à revoir sa pratique administrative et à actualiser sa doctrine en la matière. Il conviendra d'attendre pour voir si cette jurisprudence sera confirmée par d'autres juridictions et/ou si elle donnera lieu à un recours en cassation.
Affaire à suivre...