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TVA sur la marge et identité du bien : le sort de l’immeuble inachevé devenu habitation

Nouvelle illustration de la condition d’identité juridique du bien pour l’application du régime de la TVA sur la marge qui s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence communautaire.

 

 

L’article 268 du CGI, transposant l’article 392 de la directive TVA 2006/112/CE, permet aux assujettis-revendeurs d’appliquer la TVA sur la marge lors de la cession de terrains à bâtir ou d’immeubles, lorsque l’acquisition n’a pas ouvert droit à déduction. Toutefois, la CJUE, notamment dans son arrêt Icade Promotion (C-299/20), a précisé que ce régime dérogatoire suppose une identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu. En substance, un terrain à bâtir qui change de qualification pour devenir un immeuble bâti, rompt cette identité, excluant l’application de la marge.

 

Par ailleurs, il ressort de la doctrine :

Dès lors qu'il est situé dans une zone où les constructions peuvent être autorisées, un immeuble dont l'état le rend impropre à un quelconque usage devra être assimilé à un terrain à bâtir (ruine résultant d'une démolition plus ou moins avancée, bâtiment rendu inutilisable par suite de son état durable d'abandon, immeuble frappé d'un arrêté de péril, chantier inabouti, etc..). 

BOI-TVA-IMM-10-10-10-20

 

Les notions de terrain à bâtir et d'immeuble bâti sont exclusives l'une de l'autre. Ainsi peut seul constituer un terrain à bâtir un terrain qui ne comporte pas d'ores et déjà des « bâtiments », au sens de « construction incorporée au sol » (cf. I-A § 10), qu'il s'agisse d'immeubles neufs ou d'immeubles achevés depuis plus de cinq ans.

 

A cet effet, toutefois, on ne doit entendre par immeuble bâti qu'une construction qui se trouve en état d'être utilisée en tant que telle pour un usage quelconque sans qu'il soit nécessaire à cette fin d'y réaliser un immeuble neuf au sens de la définition exposée au 2° du 2 du I de l'article 257 du CGI, et ce, même si cette construction est destinée à être démolie par l'acquéreur. En sens inverse, dès lors qu'il est situé dans une zone où les constructions peuvent être autorisées, un immeuble dont l'état le rend impropre à un quelconque usage devra être assimilé à un terrain à bâtir (ruine résultant d'une démolition plus ou moins avancée, bâtiment rendu inutilisable par suite de son état durable d'abandon, immeuble frappé d'un arrêté de péril, chantier inabouti, etc..).

BOI-TVA-IMM-10-10-10-20,n°110

 

Au cas particulier, c’est sur ce terrain glissant de la qualification juridique des biens immobiliers inachevés que s'est noué le litige opposant la SCI L à l’administration fiscale.

 

Rappel des faits :

La SCI L, assujettie à la TVA, a acquis en novembre 2013 un bien immobilier situé en Haute-Garonne pour un montant de 200 000 €. L’acte d’acquisition décrivait le bien comme une maison destinée à l’habitation « en l’état hors d’eau et hors d’air », accompagnée d’un terrain. La société s’était placée sous le régime des marchands de biens (article 1115 du CGI) en s’engageant à revendre le bien dans les cinq ans. Après avoir réalisé des travaux, la SCI a revendu le bien le 15 mai 2018 pour 449 000 €, l’acte de vente désignant cette fois une « maison d’habitation mitoyenne avec terrain attenant, piscine et pool house ».

À l’issue d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale a remis en cause l’application du régime de la TVA sur la marge revendiqué par la société lors de la cession, estimant que la TVA devait s’appliquer sur le prix total de vente. Par ailleurs, le service a refusé la déduction de la TVA grevant les travaux réalisés entre 2015 et 2018.

 

Le TA de Toulouse ayant rejeté sa demande de décharge le 14 novembre 2023, la société a fait appel, sollicitant à titre principal le maintien du régime de la marge.

  • L’argument central de la SCI L reposait sur la nature du bien. Elle soutenait que l’opération d’achat-revente portait sur un immeuble d’habitation construit depuis plus de cinq ans. Selon elle, un immeuble, même à l’état de « gros œuvre » (hors d’eau et hors d’air), ne saurait être qualifié de terrain à bâtir. Elle en déduisait que la condition d’identité du bien, requise par la jurisprudence européenne pour l’application de l’article 268 du CGI, était satisfaite.

 

La Cour administrative d’appel de Toulouse vient de rejeter la requête de la SCI L.

 

Les juges ont relevé qu’au moment de l’acquisition en 2013, la construction était inachevée et impropre à l’occupation. Ce n’est qu’après l’intervention de la société que le bien est devenu une véritable maison d’habitation dotée d’aménagements de confort (piscine, pool house).

 

La Cour opère ici une requalification, elle considère que la société a acquis un bien assimilable à un terrain à bâtir (une structure inachevée) pour revendre un immeuble bâti achevé.

 

En application des principes dégagés par l’arrêt Icade Promotion, la Cour constate que la condition tenant à l’identité juridique fait défaut. Le bien acquis n'est pas juridiquement identique au bien revendu. Dès lors, peu importe que la condition tenant à l’absence de déductibilité lors de l’achat soit remplie ; la modification substantielle des caractéristiques du bien entre l’achat et la vente justifie l’assujettissement de la cession à la TVA sur le prix total, conformément aux règles de droit commun prévues aux articles 257 et 266 du CGI.

Toutefois, il résulte de l'instruction que cette construction était inachevée et impropre à l'occupation lorsque la société Lacroix en a fait l'acquisition en 2013 et qu'elle est devenue, après travaux, une maison d'habitation avec terrain attenant, piscine et pool house comme le confirment en outre les mentions figurant dans l'acte de vente du 15 mai 2018. Dans ces conditions, dès lors que la société Lacroix a bien acquis en 2013 un terrain à bâtir qu'elle a ultérieurement revendu avec une construction nouvelle achevée, la condition tenant à l'identité juridique, rappelée ci-dessus, fait défaut. Alors même que la condition tenant à l'absence de déductibilité de taxe sur la valeur ajoutée lors de l'acquisition du bien serait remplie, la société Lacroix n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a remis en cause l'application du régime de taxation de la valeur ajoutée sur la marge au motif que la cession du 15 mai 2018 portait sur un immeuble bâti qui, lors de son acquisition, avait le caractère d'un terrain à bâtir. L'administration était dès lors fondée à appliquer le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix total de cette cession.

 

On peut se demander si le juge n'a pas fait une interprétentation restrictive de du bien vendu et qui était "Hors d'eau, Hors d'air". A la lumière de la doctrine BOFIP, cet état le rendait-il impropre à un quelconque usage ? Il ressort de la jurisprudence :

 

À titre subsidiaire, la société sollicitait la déduction de la TVA ayant grevé les coûts de travaux sur les années 2015 à 2018 (23 000 €). L’administration fiscale lui a opposé la péremption de son droit à déduction. La Cour a confirmé cette position. Le droit à déduction doit être exercé sur les déclarations déposées pour la période concernée ou régularisé avant le 31 décembre de la deuxième année suivant l’omission. En l’espèce, la SCI L n’avait déposé aucune déclaration de chiffre d’affaires (CA3) pour les années 2014 à 2018. La Cour rappelle que le délai de régularisation court à compter de la date limite à laquelle la déclaration initiale aurait dû être déposée. Faute d’avoir souscrit ses déclarations dans les temps et d’avoir formulé une demande de remboursement de crédit de TVA avant l’expiration du délai de forclusion, la société a définitivement perdu son droit à déduction. 

 

Sur le plan procédural, la société demandait le sursis de paiement sur le fondement de l’article L. 277 du LPF. La Cour a rejeté cette demande, rappelant  qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit une procédure de sursis de paiement devant la CAA une fois le jugement de première instance rendu. Le sursis de paiement est une garantie propre à la phase de réclamation contentieuse et, sous conditions, à la première instance, mais ne se prolonge pas de plein droit en appel sans constitution de garanties spécifiques acceptées par le comptable public, ce qui ne relève pas de l'office du juge d'appel dans ce cadre.

 

La Cour confirme l’interprétation restrictive de la notion d’identité du bien dans le cadre du régime de la marge.

 

L’acquisition d’un immeuble en cours de construction (hors d’eau/hors d’air) qui est ensuite achevé et revendu ne permet pas l’application de la TVA sur la marge, car l’opération s’analyse économiquement comme la production d’un immeuble neuf à partir d’un bien assimilé à un terrain à bâtir.

Publié le lundi 8 décembre 2025 par La rédaction

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